1. Introduction
1.1. La thématique
1.2. Questions et hypothèses
1.3. État des recherches
1.4. Manière de procéder
2. Histoire et langue de la Corse
2.1. Tour d’horizon historique
2.2. Banditisme et vendetta
2.3. La langue de la Corse
2.3.1. Poètes corses
2.3.2. Chjam’è rispondi
2.3.3. Poésie en « terza rima » /
terzine
3. Tour d'horizon de la musique vocale corse dans son contexte
historique et analyse
3.1. Classification d’après Wolfgang Laade
3.2. Patrimoine de chants anciens
3.2.1. Chants de femmes
3.2.2. Chants d’hommes
4. Polyphonie vocale corse
4.1. Paghjella
5. Rencontres de Chants polyphoniques de Calvi
6. Entretien avec Jean-Claude Acquaviva
7. Polyphonie vocale corse de 1960 à 2007
8. Conclusion
Bibliographie
1. Introduction
1.1. La thématique
« Découvrir la musique corse par hasard. »
C’est
sans doute la plus belle façon d’apprendre à connaître cette musique
que d’être précipité sans aucun avertissement préalable dans ce monde
sonore au charme archaïque, fascinant et inouï.
Sans aucune
préparation, de façon inconsciente, j’ai été prise dans le tourbillon
des chants corses et portée par une vague sonore chargée d’émotion.
Et
en plus, par « A Filetta ». LE groupe, avec un des musiciens les plus
charismatiques que j’aie jamais vu : Jean-Claude Acquaviva !
Jean-Claude
Acquaviva a une présence scénique sans pareille. Totalement possédé,
absorbé par sa musique, dans son monde sonore - et en même temps au
beau milieu du public. On est touché par sa présence jusqu’au plus
profond de soi ; il a un contact émotionnel et musical direct avec
chacun de ses auditeurs tout en restant au milieu du demi-cercle intime
des chanteurs.
Fascinée et émue, je n’oublierai jamais cette première rencontre avec
les « Polyphonies Corses’ ».
(Hlawa Margarethe – http://www.l’invitu.net/afiletta.php - download du
23-11-07)
Ces
quelques phrases témoignent de mon enthousiasme, qui est à l’origine du
choix du thème de ce mémoire. C’est en été 2006 que, tout à fait par
hasard, j’ai écouté A Filetta en concert à Calvi. Je n’avais aucune
connaissance des chants polyphoniques et pourtant, dès la première
note, j’étais comme électrisée. Fortement impressionnée, j’ai essayé,
dès mon retour en Autriche, d’en savoir davantage sur cette musique. Et
ce que j’ai trouvé, c’est un grand vide ! De sources très diverses,
j’ai appris des informations très différentes. Apparemment il n’existe
aucun ouvrage « standard » ou complet exposant l’ensemble du patrimoine
chanté, ni son histoire et sa signification.
Pourtant, cette
musique touche beaucoup de gens, et plusieurs ouvrages ont même été
consacrés au chant corse, mais la plupart du temps dans un cadre
particulier : soit sous l’angle de la situation politique, soit dans
une approche littéraire uniquement orientée sur les textes des chants.
Il y a aussi des œuvres exclusivement historiques et même un travail
scientifique sur ce qu’on appelle « Lamento-Melodik » (selon Laade,
voir par ailleurs).
1.2. Questions et hypothèses
L’objectif
de mon travail a donc été de donner une vue d’ensemble des chants de la
Corse, de leur structure, de leur histoire et de leur signification à
l’égard de l’identité retrouvée des Corses.
Plus on se plonge dans
le sujet CORSE, plus il devient difficile de comprendre la vraie
substance, le caractère et par conséquent les problèmes de l’île.
L’histoire de ce bout de terre tellement disputé se lit comme un drame
historique. Depuis des siècles, les nombreux envahisseurs, ainsi que le
clanisme et le banditisme des Corses eux-mêmes, ont laissé leur
empreinte sur les habitants. Cette vraie « île de beauté » n’a connu
que de très courtes périodes de paix, de sérénité et de prospérité.
Pour
un étranger, la meilleure façon de comprendre ce peuple qui a
recommencé à chanter, passe par ses chants. Leurs textes font vraiment
percevoir - plus profondément que n’importe quel livre d’histoire -
cette âme corse, en permettant l’approche d’une culture qui, autrement,
ne se laisserait pas aborder si facilement.
À l’aide des chants,
je vais tenter de dresser un portrait du peuple corse et de sa culture
sous ses multiples aspects. Et avant tout, je veux évoquer le rôle
important que ce chant a représenté pour les Corses, dans quelle mesure
il a aidé à redécouvrir, à préserver leur propre culture et à
réaffirmer leur identité : ni Italiens ni Français, mais Corses à part
entière.
1.3. État des recherches
Dès le début de la
recherche, on se trouve confronté à un problème majeur :
traditionnellement le chant corse ne se transmettait que par la voie
orale : chant – écoute/apprentissage – reproduction/chant en groupe.
Pour être admis au sein d’un groupe de chanteurs, le « postulant » doit
d’abord écouter de nombreuses fois, puis s’exercer tout seul avant
d’être intégré.
Il n’existe pratiquement ni partitions, ni transcriptions musicales, et
très peu de textes.
Par
suite de la dépopulation de l’île (30 000 Corses tombés à la Première
Guerre mondiale, puis émigration massive vers le continent français du
fait du manque de travail après la Deuxième Guerre …), les structures
sociales et villageoises ont commencé à disparaître, et avec elles les
circonstances des chants. Le chant avait un rôle et une fonction
sociale (chants de travail, improvisations, plaintes funèbres….) qui a
disparu.
Et s’il n’y avait pas eu Félix Quilici, après la Deuxième
Guerre mondiale, le patrimoine chanté de la Corse aurait été
complètement oublié, perdu. Il serait mort ! Cet homme est devenu l’un
des conservateurs culturels les plus importants de l’île. Armé de son
magnétophone, il a fait le tour des villages corses, en demandant aux
personnes âgées qui se souvenaient encore des vieilles chansons, de les
chanter pendant qu’il enregistrait – et cela à une époque où toute
manifestation de « corsitude » était décriée et considérée comme
dépassée et « paysanne », attitude bien encouragée par le Gouvernement
de la République française...
Les enregistrements sonores de Quilici se trouvent aujourd’hui à la
Phonothèque de Corte.
Un
autre grand chercheur et connaisseur de la Corse, Wolfgang Laade, a
collecté et analysé des enregistrements sonores, en décembre 1965 à
Marseille et en Corse de 1956 à 1958, et encore en 1973. Il a écrit Die
Struktur der korsischen Lamento-Melodik, Baden-Baden, 1962 et Das
korsische Volkslied, Wiesbaden-Stuttgart, 3 vol., 1981-1987.
Ces
deux ouvrages sont deux contributions musicologiques fondamentales,
même si elles se lisent plutôt comme des critiques de la société. Et là
encore, ce travail fut très spécifique : il se référait uniquement aux
mélodies en négligeant les textes – une difficulté marquante, parce
que, en Corse, ce n’est pas la mélodie qui compte, c’est la poésie :
dans la transmission de la tradition, il y a beaucoup plus de textes
que de mélodies !
Un
livre que je n’avais pas suffisamment pris au sérieux au début s’est
révélé un outil essentiel pour mon travail : « Corsica… un’isula chì
canta » (FUSINA, 2007) – un recueil de textes de chants, avec les
textes originaux corses et leurs traductions françaises et allemandes.
Tous les titres présentés dans ce mémoire sont extraits de cet
ouvrage.
Mais il
reste toujours le problème de la musique non écrite. Il existe une «
bible » du chant corse: un livre-recueil avec des mélodies en
partitions et toutes les strophes connues (en langue corse) : DE ZERBI,
Ghjermana, Cantu nustrale, Scola corsa, Bastia, 1981 – mais hélas, cet
ouvrage est épuisé ! Grâce à des amis vivant en Corse, j’ai eu la
chance de pouvoir me procurer les copies de quelques pages, qui sont
devenues les sources de toutes les mélodies citées en exemple dans ce
mémoire.
1.4. Problématique
Pour
comprendre la situation culturelle de la Corse, une vue d’ensemble de
son histoire est indispensable. Il faut bien prendre conscience du
nombre de fois où cette île a été envahie, du nombre de peuples qui
l’ont occupée, pour bien comprendre sa mentalité et sa culture telle
qu’elles se sont développées. Au début de ce travail, le lecteur
trouvera donc un aperçu historique jusqu’aux temps agités d’aujourd’hui.
Ensuite
seront présentés certains aspects historiques essentiels pour
comprendre le développement de certains chants, chants de bandits et
chants de vendetta, intimement liés.
Un troisième aspect, en rapport également avec l’Histoire, est celui de
la langue corse.
Dans
les chants, le rôle de la langue est presque plus fort que celui de la
mélodie ; il existe beaucoup moins de mélodies que de textes de chants
; une seule mélodie de lamentu, par exemple, peut être utilisée avec
des textes très divers et nombreux. Puis on analysera la capacité - et
le goût - étonnants, et cela dans toutes les couches de la population,
pour les rimes et les vers - culminant dans les joutes poétiques
«Chjam’è rispondi ».
Après les analyses sur le peuple
corse et son histoire, nous présenterons son « chant » - toujours dans
le souci de ne pas laisser de coté le texte dans l’aspect musical. Pour
cette raison sera fourni, avec chaque genre chanté, un exemple du
texte, en corse et en français. L’écriture du corse sera abordée dans
le chapitre sur la langue (2.4).
La place particulière de la
polyphonie vocale va être traitée à part, avec une attention spéciale
sur les aspects divers de « la polyphonie corse » et de « a paghjella
».
Le voisinage musical sera la thématique d’un chapitre
suivant, avec cet exemple magnifique de rapprochement entre les peuples
par transmission culturelle que constituent les « Rencontres de chants
polyphoniques de Calvi ». On trouvera un entretien avec Jean-Claude
Acquaviva, leader du groupe « A Filetta », cheville ouvrière et
organisateur de ces
Rencontres.
Et pour
finir, nous évoquerons l’essentiel de ce travail : le chant corse dans
les 50 dernières années, dans ses fonctions essentielles : expression
de la revendication identitaire, mouvement du "riacquistu",
sauvegarde et transmission de la langue corse aux jeunes et finalement
l’évolution de ses lieux d’écoute, passés des montagnes et des champs
aux salles de concerts de "world music"….
Corsica…un’isula chì canta
2 L’histoire et la langue de la
Corse
Quiconque
entend pour la première fois des chants corses est surpris par ce monde
de sonorités semblant si archaïques. L’auditeur prend conscience
immédiatement de la culture ancestrale très présente qui est derrière
ces chants. Et pour cette raison, il est indispensable de connaître
quelques éléments d’histoire de l’île pour comprendre véritablement
cette musique dans son essence.
La langue est très liée à cette
histoire ; parler corse était jadis et est encore aujourd’hui un signe
de la forte identité des insulaires – et un sujet de contestation
politique depuis des années. Et naturellement, la poésie comme les
chants corses sont étroitement liés à cette langue.
2.1. Aperçu historique
8000 avant av. JC
L’homme s’installe en Corse (chasse et cueillette)
6570
Vestige le plus ancien : la « dame de Bonifacio »
5000-4000 av. JC
Début de l’élevage d’ovins et de bovins
3500-1000 av. JC
Augmentation de la population – la civilisation mégalithique se
développe
1600 av JC
Invasion des Torréens
puis des Ligures, Ibères, Libyens, Phocéens
600 av JC
Première colonisation des Grecs
fondation, en 565 av JC, de la ville d’Alalia (Aléria)
280 av JC
Les Carthaginois s’emparent de l’île
259 av JC
Début de la conquête Romaine
300-500
Christianisation de la Corse
500-600 Invasions des Vandales et des Ostrogoths
754
Don de l’île par Pépin le Bref au Pape
900-1100
Incursions des Sarrasins - repli de la population vers les montagnes
1077
Le Pape Grégoire VII donne la Corse à Pise
1133
Le Pape Innocent II partage les évêchés corses entre Pise et Gènes
1284
Bataille de Meloria : Gênes s’implante en Corse
1284-1768
Gênes prend le contrôle de l’île avec quelques révoltes et attaques
menées par des Corses : Jean-Pierre Gaffori, Pasquale Paoli
1755-1769
: 14 ans d’indépendance sous Pasquale Paoli qui fondait le
premier Etat démocratique des Temps modernes – avec la création d’une
université à Corte, d’une monnaie et d’une armée…
L’Espagne (les rois d’Aragon),
La
France
1769
La Corse perd son indépendance à la bataille de Ponte Novu
La France obtient le pouvoir
15-08-1769
Naissance de Napoléon Bonaparte à Ajaccio
1794-1796
Ephémère royaume anglo-corse
1796
La France rétablit son pouvoir en Corse
1942
Occupation italienne
1943
La Corse, premier département français à se libérer de l’occupation
allemande.
1966
Création du « Front Régionaliste Corse »
1976
Création du « Front National de Libération de la Corse « (FLNC)
1981
Réouverture de l’université de Corte
1991
vote du statut particulier d’autonomie régionale / « l’assemblée de
Corse »
Si
l’on examine cet aperçu historique dressé à grand traits, il peut
sembler étonnant qu’un peuple soumis aux invasions et à l’occupation
d’autres peuples pendant 3 500 ans environ, ait pu garder sa culture
originale. Il n’existe guère de pays en Méditerranée qui n’aient essayé
de marquer la Corse de leur empreinte. Mais, malgré tous ces efforts,
la culture corse existe. Et ce sont les Corses avec le caractère fier
qui est, avec leur amour de la liberté, leur spécificité, qui ont
marqué leur île, même si on trouve des influences de toutes époques et
peuples Leurs chants en sont un des exemples les plus frappants.
Ils nous racontent les paysages, les montagnes, le travail et la lutte
pour l’indépendance, jusqu’à aujourd’hui.
Dans la culture corse,
deux éléments spécifiques ont joué un rôle essentiel dans le
développement du patrimoine chanté : le banditisme et la vendetta,
intimement liés. Donc, i lamenti di banditi et i voceri et i lamenti
constituent une partie importante de ce patrimoine.
2.2. Banditisme et vendetta
Il
n’était pas rare que la vendetta se conclue par l’éradication d’une
famille complète et avec la fuite du vengeur principal, dit « bandit
d’honneur », par la prise du maquis (un labyrinthe de
broussailles à feuilles persistantes, de 3 à 5 mètres de hauteur ;
c’est la végétation la plus répandue en Corse). Après avoir vengé les
siens, il prenait le maquis pour se cacher des gendarmes. Il y
jouissait du respect et de la neutralité bienveillante de la population
qui lui fournissait du ravitaillement.
Une
des origines de la vendetta est à chercher dans l’histoire. Car les
Corses se sont toujours opposés à leurs envahisseurs, Romains,
Sarrasins, Génois et Pisans etc. à toutes les époques ; n’acceptant
guère leurs lois, ils ont réglé leurs conflits avec leurs propres
armes. Ainsi la vendetta s’est établie presque naturellement – dans la
nécessité de se faire justice eux-mêmes (MÜHL, 2005)
Pascal Paoli,
en tant que Corse, a bien compris que la vendetta ne serait pas facile
à éradiquer, mais du moins il a déclaré son extension aux proches du
meurtrier comme honteuse. Quiconque s’en rendait coupable était
condamné à mort, et son nom était gravé sur un pilori.
Malgré cela,
le banditisme a toujours été considéré comme honorable dans la
population. De nombreux écrivains tels que Stendhal, Balzac, Flaubert
et d’autres ont ajouté leur marque avec leurs descriptions romantiques
et enjolivées. Par cette propagation littéraire, le « bandit corse » a
connu une réputation internationale – avec la conséquence que des
personnalités (artistes et journalistes) illustres ont même rendu
visite aux bandits dans leurs abris du maquis pour se faire
photographier ou filmer avec eux.
Selon HÖRSTEL 1908 : «
L’âme du peuple se délecte de ces bandits de légende; les lamenti /
lamentations des bandits qui déplorent l’injustice causée par leurs
ennemis ainsi que leurs actes de vengeance farouches, leur soif de
vengeance encore plus farouche et finalement les tracas de leur vie
agitée, sont devenus des chants populaires – au sens large. Tout le
monde parle avec enthousiasme de ces bandits, audacieux comme des
lions, terribles envers leurs ennemis, serviables envers leurs amis,
chevaleresques envers les pauvres : les femmes pendant leur travail à
la maison, les charretiers sur le transport des troncs de pin et de la
chêne-liège vers la mer, les paysans sur le champs. »
De
même Wolfgang Laade parle, dans son œuvre sur le chant populaire corse,
de ces comportements singuliers des habitants, encore en 1958 :
«
On pouvait toujours observer en 1958 les vieilles femmes échangeant des
regards éloquents et faisant un signe de tête affirmatif quand on leur
a fait écouter, par magnétophone, des enregistrements de lamenti di
banditi. Elles semblaient bien connaître les textes avec leurs détails
largement exposés. Souvent les textes étaient murmurés du bout des
lèvres – le tout avec une certain réticence devant moi, l’étranger. Et
les hommes restaient silencieux et pensifs si l’un d’eux entonnait une
telle lamentation. Tout cela m’étonnait d’autant plus que tout le monde
déclarait, encore et encore, que l’époque des bandits était –
heureusement ! – finie. » (LAADE, 1981-1987)
Que
le temps des bandits soit définitivement révolu, on peut encore en
discuter aujourd’hui. Les temps ont changé, c’est certain. Mais le
caractère et la fierté des Corses sont toujours intacts. Et les
informations de la presse actuelle ne laissent-elles pas penser
instinctivement au banditisme – à la lecture du cas Yvan Colonna
?
13 Novembre 2007, Neue Züricher Zeitung :
« Ce
n’est que presque dix ans après l’assassinat du Préfet Erignac en Corse
que le coupable désigné du meurtre, Yvan Colonna, 47 ans, est jugé
devant le tribunal. Quatre de ses complices qui l’ont dénoncé comme
l’auteur du coup de feu mortel, sont entre-temps revenus sur leur
déposition. »
Ch. M. Paris, 12 Novembre
«
Presque dix ans après l’assassinat du Préfet français en Corse, Claude
Erignac, le 6 février 1998, le procès contre son meurtrier présumé,
Yvan Colonna, 47 ans, a commencé lundi à Paris. La procédure aura lieu
devant une cour d’assises spécialisée dans les crimes terroristes,
constituée exceptionnellement de magistrats professionnels, au lieu
d’un jury populaire. Colonna conteste toute culpabilité, mais a été
cependant accusé d’être le tireur par quatre complices il y a huit ans.
Il n’a été arrêté et incarcéré que le 4 juillet 2003 parce que,
entre-temps, il s’était caché dans l’île.
Accusation et rétractation
Six
membres du commando Erignac, ont été condamnés il y a quatre ans déjà,
dont deux entre eux à perpétuité. Pourtant, deux complices du meurtre
ont été acquittées en appel, il y a un an et demi. Les quatre hommes
dont la condamnation a été maintenue, qui avaient dénoncé Colonna à
l’époque, sont revenus sur leurs dépositions. L’un d’eux, condamné à
perpétuité, s’est accusé lui-même de l’assassinat après l’arrestation
de Colonna. Les cinq avocats de Colonna cherchent d’utiliser cette
auto-dénonciation ainsi la rétractation des autres témoins comme preuve
de l’innocence de leur client. Le meurtre d’Erignac a provoqué une
vague de protestations de la population contre l’escalade de la
violence ; jamais auparavant, en temps de paix, un Préfet, plus haut
représentant de l’autorité de l’État français, n’avait été assassiné
dans un Département.
Aujourd’hui, en grande partie,
l’indignation d’auparavant semble passée ; au contraire, de nombreux
acteurs de la scène nationaliste corse affirment leur sympathie et leur
soutien à Colonna. Le meurtrier présumé a été élevé au rang de victime
et de héros national. Cependant il est accusé en plus d’un hold-up sur
la Gendarmerie de Pietrosella commis en septembre 1997, à l’occasion
duquel a été volée l’arme du crime ayant servi pour l’assassinat du
Préfet.
Fin d’une faillite
L’impuissance de l’État de
droit français pendant la fuite de Colonna qui a duré plus de quatre
ans avant la recherche policière a marqué une faillite sans pareille de
l’Etat. Plusieurs éléments ont contribué à ce fiasco : rivalités entre
services de police et la justice, protection du réseau nationaliste
clandestin et surtout procédé étrange du gouvernement socialiste qui
faisait rechercher l’auteur de l’attentat en fuite plus activement en
Amérique latine qu’en Corse.
Un an après le changement de
gouvernement à Paris, sous l’ancien Ministre de l’intérieur Sarkozy,
Colonna, qui s’était caché dans une bergerie dans le maquis corse, fut
enfin mis en état d’arrestation. Le procès à Paris, avec une durée
prévue d’un mois, se déroulera sous des mesures de sécurité extrêmement
rigoureuses. »
(http://www.nzz.ch/nachrichten/international/suehne_fuer_ermordung_eines_korsika-praefekten_1.583823.phpl
- download vom 24.11.2007)
2.3 La langue de la
Corse
Persa
a lingua, persu u populu (Perdue la langue, perdu le peuple … ) C’est
un dicton souvent et volontiers cité en Corse. Depuis toujours la
langue était la marque d’une nation consciente de sa propre valeur et
aujourd’hui encore elle joue un rôle essentiel dans la lutte des Corses
pour leur identité culturelle.
Le corse est une langue riche
et mélodieuse qui jusqu’au milieu du 19ième siècle, n’était ni écrite
ni étudiée. Les spécialistes ne s’accordent toujours pas sur ses
origines.
L’opinion la plus couramment défendue en Corse est
que le proto-corse se serait développé à partir du latin, au
cours de la colonisation romaine. En conséquence le corse serait, comme
le sarde, le catalan ou l’occitan, une langue romane autonome qui n’a
été que postérieurement influencée par l’italien. Elle n’est donc pas,
comme l’ont prétendu les gouvernements français jusqu’à 1960, «
simplement » un dialecte italien. Pour les Corses, c’est un point très
important parce que la reconnaissance comme langue minoritaire ne peut
intervenir que pour une langue romane autonome, et pas pour un
dialecte. Donc, en 1974, le corse est enfin reconnu officiellement
comme une langue régionale et son enseignement dans les écoles est
autorisé.
Du fait de l’importance particulière de la tradition
orale depuis les origines, se pose naturellement le problème de la
culture écrite.
Le corse était seulement parlé et les premières
tentatives de l’écrire ne datent que du début de 19ième siècle. De
plus, les très grandes différences du parler qui existent entre le nord
et le sud de l’île en général, rendent malaisée toute standardisation
de l’écriture du corse.
Un bel exemple
est donné par U Lamentu di Ghjuvan Camellu et A Baddata di
Ghjuvan Cameddu. Dans les annexes du livre « Corsica …un’isula chì
canta » (FUSINA, 2007), les deux versions de l’orthographe du même nom
sont expliquées par les deux endroits différents où les textes ont été
trouvés : Camellu (dans le nord), Cameddu (dans le sud de l’île).
Quant
à la prononciation, les Corses ont l’habitude d’avaler les terminaisons
des mots : Bonifacio devient »Bonifatsch«, Porto-Vecchio »Porto-Vek« et
Sartène »Sarteh«. De même, le « i » à la fin des noms
propres reste presque muet. Par contre le « e » à la fin, comme en
allemand, n’est jamais muet selon les règles corses ; ainsi que le « ci
» prononcé comme « tschi », « che » comme « ke »; le « r » est
doucement « roulé » avec une vibration vélaire ; les voyelles qui
se succèdent ne sont pas diphtonguées, c'est-à-dire réduites à un son,
mais se prononcent une par une (A-i-tone). Et enfin, le « i » devant
les voyelles a, o, u ,- en association avec c ou g, se prononce « sch
».
(cf. - http://www.reisetops.com/korsika/db_site.cgi/site_38/ -
download vom 5.12. 2007)
2.3.1 Poètes corses
Plus
on s’intéresse à la culture et à la littérature corses, plus on a
l’impression que sur cette île, il n’existe personne qui ne sache
chanter et versifier. Le penchant des Corses pour leur culture donne à
penser que l’on se trouve sur la terre de la poésie pure. Même si
ces propositions peuvent paraître exagérées, elles ont un fond de
vérité. Il est certain que la tradition de composer des poèmes est très
ancrée, ce qui est déjà très remarquable et étonnant, même si le temps
est évidemment révolu où presque chaque Corse était capable
d’improviser les terzine appropriées à chaque situation. Et le recul du
pastoralisme a contribué à la disparition de cet art parce que
c’étaient bien les bergers qui savaient créer les poésies les plus
belles et les plus profondes.
2.3.2 „Chjam’e
rispondi“ - Joute poétique d’improvisation
Le
talent poétique si fièrement conservé des Corses a donné naissance aux
fameuses joutes poétiques. Il faut savoir que, déjà depuis le 16ième
siècle, la littérature poétique a joué un rôle très important sur
l’île.
Même des personnes qui ne savaient pas lire, aimaient
écouter les lectures des grandes œuvres de Dante, Marino, Le Tasse et
d’autres, en apprenant par cœur leurs longs poèmes. De simples bergers
pouvaient réciter des passages des œuvres d’écrivains connus. Et les
insulaires n’étonnaient pas seulement par leurs connaissances des
auteurs, mais aussi par leurs propres capacités créatives en poésie.
Ils ont tous rimé, du berger au savant, sachant lire ou non, hommes et
femmes, et cette passion a produit beaucoup de textes de chansons, de
vers - et aussi ce qu’on appelle les « Chjam’e rispondi ».
Le
témoignage du « Chjam’e rispondi » le plus ancien date du 17ième ou
même du 16ième siècle ; il s’agit d’un jeu de questions et de réponses
qui se déroulait dans le cadre des cérémonies traditionnelles du
mariage, à l’occasion de l’entrée de la mariée et de son escorte dans
le village du marié, entre un habitant de ce village et celui de la
mariée.
L’essentiel au fond dans cette joute, c’est la
vivacité de repartie et la malice poétique. Mais il y avait aussi bien
d’autres circonstances pour le « Chjam’e rispondi », surtout dans les
bars, les cafés ou à l’occasion des fêtes du village parce que le plus
grand stimulant, c’était l’auditoire.
Wolfgang Laade nous donne un exemple très éloquent de 1956:
„Après
la messe et la procession, tout le monde se rend sur la place du
village, devenue un bruyant champ de foire, avec des haut-parleurs qui
braillent et des marchands dans les baraques offrant leurs produits à
la criée. Les gens se pressent pour gagner une place sous les
chapiteaux avec les jeux de hasard… Le soir venu, alors que j’étais
assis avec quelques amis, j’entendis, tout à coup, une voix de femme
chanter à l’autre bout de la place. Je m’approchai et arrivai à un
petit comptoir, encadré de bottes de paille. Une lampe à pétrole
éclairait l’intérieur d’une lumière tamisée. Et voilà la patronne de la
buvette qui offre ses boissons en chantant. Tout spontanément elle
improvise ses appels aux passants en tercets (terzine) traditionnels.
Quelqu’un surgit d’un groupe d’hommes en se plaçant devant le comptoir
et se met à répondre lui aussi en tercets. Tout le monde autour éclate
de rire, ce qui montre bien l’ironie contenue dans les paroles. La
patronne se tait, mais le chanteur continue. Et un deuxième homme
avance et adresse des vers provocants à l’autre – qui lui répond.
Bientôt un troisième se joint à eux et la fameuse joute poétique
commence. Les trois improvisateurs sont de simples paysans rivalisant
par leurs vers chantés, des gens de trois régions de l’île – le Niolu
contre la Castagniccia et la Balagne. Les passants s’arrêtaient parce
que c’était captivant pour tout Corse authentique.
Maintenant,
autour de la table du bar, il y a l’homme de la Castagniccia, avec son
visage rude, le front caché par sa casquette. Sa voix rauque, aigue,
pénétrante, contraste fortement avec l’organe doux et sonore de son
vis-à-vis. Celui-ci, originaire du Niolu, se tient fièrement debout
devant la table avec son grand chapeau de berger au large bord et ses
mains appuyées sur sa houlette.
A ses côtés le
Balanin, un petit homme corpulent de physionomie avenante, réplique
d’une voix douce, quasi fluette, aux strophes des autres. Une attention
soutenue, une tension incroyable régnent, aussi bien de la part des
concurrents que des assistants. Les regards sont suspendus aux lèvres
du vis-à-vis et chacun essaie d’anticiper ses paroles avant même
qu’elles ne soient sorties de la bouche. Dès que le troisième vers
touche à sa fin, déjà la réponse tombe souvent dans le finale de
l’adversaire. Chacun invoque sa muse afin qu’elle lui inspire des
termes malicieux et bien tournés.
Et si incisives que soient les
provocations, les paroles sont toujours choisies avec une courtoisie
étonnante. Elles montrent l’estime et la noblesse chevaleresque du
berger. On entend des tournures comme « scusate, o caru amicu »- «
Pardonnez-moi, cher ami », ou « Permettez-moi, mon très cher, de vous
dire quelques mots sur … si vous aviez l’amabilité de bien vouloir me
prêter oreille ! »
Je percevais comment le berger du Niolu
reprochait à l’homme de la Castagniccia l’inconduite de ses
concitoyens. Celui-ci rétorquait à son rival, quel sort l’attendrait le
jour où il retrouverait toute sa famille au purgatoire. Et l’attaqué
repartait : « (cher) Ami écoutez-moi bien! À la dernière fête,
j’ai chanté avec Pampasgiolu (le poète renommé du Niolo). Et j’avais
choisi des paroles si réussies qu’elles m’ouvriront la porte du
paradis. » Inlassablement, les vers jaillissaient, rebondissaient, et
inlassablement les assistants étaient à l’écoute. Le premier couplet
avait résonné vers 10 heures le soir et à cinq heures du matin, de ma
chambre, j’entendais toujours chanter les compétiteurs. » (LAADE,
1981-87)
Aujourd’hui encore, on peut assister à ces joutes
poétiques. Cependant, elles ont perdu leur caractère improvisé. Elles
sont préparées et organisées de longue date et se présentent plutôt
comme des tours de chant dans des salles de concert. Dans la vie
quotidienne, la spontanéité et les réparties extraordinaires, pleines
d’un humour de haut niveau, ont disparu complètement.
2.3.3 La poésie des
terzine (tercets)
Les terzine chantées représentent la « formule standard » des
improvisations poétiques.
La
structure des strophes correspond à celle de la paghjella (voir
4…) et même la manière de les interpréter ressemble à celle des
paghjelle, la façon typiquement corse de chanter, entre hommes, avec
des voix d’une grande intensité resserrées dans le haut du registre,
une main à l’oreille. Les tercets sont chantés sur un texte écrit, fixe
ou à l’improvisation. Normalement ils sont présentés par une seule
personne sans accompagnement instrumental et utilisés comme LA forme
typique par les poètes corses.
3 Tour d’horizon de la musique vocale
corse dans son contexte
Historique et analyse
3.1 Classification d’après Wolfgang
Laade:
A. Patrimoine de chants anciens
1. Lamenti
Répertoire des femmes:
Complaintes funèbres / Lamentations
Berceuses
Répertoire des hommes:
Complaintes à la mémoire d’un animal domestique, y compris parodies
satiriques Complaintes de bandits
Chants guerriers et de départ
2. Chants de travail
Chants de battage : tribbiere
Chants de muletiers
3. Improvisations poétiques
4. Paghjelle
B. 18ième et début du 19e siècle
1. Sérénades
Du
point de vue de leur mélodie, les sérénades les plus anciennes sont
voisines des lamenti, et aussi des « terzine récitatifs ». Les
sérénades plus récentes sont de type italien.
2. Barcarolles
Les barcarolles ne font pas partie du patrimoine chanté corse ; elles
sont toutes importées d’Italie.
3. Chants et rondes enfantines
Presque toutes les chansons et rondes d’enfants semblent d’origine
italienne.
C. 19ème et début du 20ème siècle
1. Chants de soldats
2. Chants d’élections
Pour
ne pas déborder le cadre de ce Master par l’analyse de tous les genres
de chant, je me suis limitée à la présentation des chants d’origine
exclusivement corse, avec un cas limite, „Cun voi o madamicella“, qu’on
peut estimer d’influence italienne.
La classification
principale des chants anciens est très simple. Il n’y a que deux
groupes : les chants d’hommes et les chants de femmes. Une distinction
très nette et sans exception. Aucun homme n’aurait jamais chanté un
voceru et aucune femme un lamentu di banditu ou une
paghjella.
Étonnant aussi qu’il n’existe aucune
catégorie de chant regroupant femmes et hommes. Une séparation des
sexes très stricte donc, malgré l’importance incontestable du chant
dans tous les aspects de la vie quotidienne.
L’évolution musicale
des dernières 40 années avec l’émancipation de la femme corse et son
nouveau rôle dans le chant, va être détaillée à la fin de cette étude.
3.2 Patrimoine de chants anciens
Tous
les exemples de notation musicale dans ce chapitre sont tirés du livre
Cantu nustrale (DE ZERBI, 1981), et les exemples de textes du livre
Corsica…un’isula chì canta (FUSINA, 2007). Comme il s’agit de copies
très peu lisibles de partitions écrites à la main, je les ai
transcrites moi-même à l’aide du logiciel « Capella ».
Sur ces
partitions, il faut dire en préalable qu’il est très difficile de
transcrire cette musique en notation musicale. Jean-Claude Acquaviva
nous explique dans l’interview (voir No 6) que souvent, ce sont
seulement les harmonies et le texte qui sont établis. La façon de
passer d’un accord à l’autre est variable. Il y a toujours beaucoup
d’improvisation dans cette musique, même dans les chants anciens.
La
plupart du temps, le rythme résulte du texte – c’est une des raisons
pour lesquelles il est tellement difficile de transcrire cette musique
sur partition. Le rythme varie avec chaque strophe. Par conséquent, les
exemples présentés ici ne sont qu’une approche de la pratique musicale
et ils ne peuvent donc donner qu’un aperçu des
chants.
3.2.1 Chants de femmes:
- Complaintes funèbres (lamenti et voceri)
- Berceuses (Ninne Nanne)
La complainte funèbre:
Il
y a deux formes de complaintes: les lamenti, chantés à l’occasion des
décès naturels et les voceri, chantés après des morts violentes,
souvent liés à la vendetta.
Le voceru même se déroulait en deux parties :
Gridu: la lamentation à grands cris
Scirata:
le chœur des femmes avec une voceratrice qui donne le ton et, aussi,
plutôt rarement, le caracolu (danse macabre).
La
première partie, Gridu, était entonnée dès que quelqu’un était décédé.
Le défunt était exposé sur une grande table (tola) dans sa
chambre. À l’arrivée de chaque membre de la famille ou allié, les
lamentations recommençaient. S’il c’était des femmes qui arrivaient,
elles rejoignaient le chœur de femmes dans la chambre du défunt, où
elles s’exclamaient avec elles.
La deuxième
partie, Scirata, avait lieu le jour de l’enterrement. Ce jour-là, le
corps du défunt était couché dans le cercueil qui était exposé
publiquement devant la maison. Le matin, les femmes, vêtues de noir,
arrivaient des villages voisins pour former le chœur avec la
voceratrice. Dès leur arrivée à la maison du défunt, elles commençaient
leurs plaintes et leurs gestes désespérés jusqu’à ce que le prêtre
vienne pour conduire le cortège funèbre à la tombe…
Parfois, pour
accompagner les Complaintes funèbres, on dansait autour du défunt; une
danse macabre très particulière, le caracolu, avec des hurlements et
gestes violents.
Au 16ème siècle l’Église a interdit la
scirata et surtout le caracolu. Mais les complaintes ont continué
d’être chantées – jusqu’au milieu du 20ème siècle, tandis que la
tradition du caracolu s’éteignait avant.
Contenu des lamenti:
Il
y a des descriptions du salut éternel qui attendait le défunt dans
l’autre monde ; des affirmations de l’amour envers lui ; des
complaintes sur la perte ressentie par sa famille et des éloges de ses
vertus.
Contenu des voceri:
Reproduction
de la genèse du meurtre ; affirmation de l’importance de la perte et de
l’amour pour le défunt ; appel à la vendetta à l’adresse des hommes
présents avec des injures et menaces envers les adversaires et la
présentation de la vengeance
Hormis les différences de contenu,
il est difficile de distinguer les lamenti et les voceri. Mais on peut
prendre comme point de départ que, chez le voceru, il s’agit toujours
d’une complainte funèbre alors que le lamentu n’est pas forcément lié à
la mort ; il peut être aussi constituer une autre forme de complainte,
par exemple un lamentu de départ (voir LAADE,1981-87)
Voceru di Ghjuvan Cameddu
Quel tonu tremente è forti da per tuttu ascoltu assai quellu chì annuncia la morti di Cameddu Nicolai quellu banditu d’anori o Corsica più non ai In la casa di la Testa c’era matrimoniu è ballu ch’ella li ghiunghji la pesta cù li sproni da cavallu è po subarcalli tutti quel ch’anu cummissu il fallu Nun si hè mai vistu al mondu né lettera nella scrittura chì à l’omu furibondu la donna faccia paura di tiralli di pistola contro la madre natura Fusti traditori di Cristu più di Ghjuda sè ribeddu per un miserabile acquistu tradisti à Ghjuvan Cameddu -tirati il collu à la corda- hè il sicondu to frateddu O Camè lu me frateddu o Camè lu me cuginu quale hè statu l’assassinu chì t’hà puertatu à lu maceddu per fani subire à teni questu barbaru fraceddu? Sonu in dolu li fiori d’i prati più nun canta l’oguriu acellu dicenu ch’anu ammazzatu l’eroe Ghjuvan Cameddu eu lu bagnu cù il mio piantu ma nun credu chì sia ellu |
Je l'entends partout
résonner, ce coup de tonnerre terrible et fort qui annonçait la mort de Ghjuvan Cameddu Nicolai, ce fameux bandit d'honneur, ô Corse, tu l'as perdu! Dans la maison de A Testa il y avait mariage et bal. Que la peste y arrive aussi à cheval et chaussant éperons et qu'elle les extermine tous, ceux qui ont commis cette faute! Personne n'a jamais vu ni lu pareille chose qu'une femme puisse faire tellement peur à un homme en colère qu'il tire un coup de pistolet contre une femme Tu fus traître au Christ plus que Judas lui-même toi qui pour un misérable achat as trahi Ghjuvan Cammeddu - pends-toi à une corde – et ton frère périra en second O Camè, mon frère, ô Camè, mon cousin qui a été ton assassin, qui t'a livré au bourreau pour te faire subir ce barbare massacre? Les fleurs des prés sont en deuil, les oiseaux même ne chantent plus tous disent qu'on a tué Ghjuvan Cameddu, ce héros je suis toute en pleurs et je ne peux toujours pas y croire |
Forme et structure du chant :
Très libre sur le plan rhythmique, noté sans mesures
Forme en deux parties A B
Tonalité: mode phrygien
Ambitus: Quinte: ut1 dièse – sol 1
Progressions d‘intervalle: exclusivement de seconde
Conduite
de la mélodie: même si l’intervalle tonal s’élève une fois sur une
quinte à travers l’ornementation des mélismes, on peut dire que la
mélodie ne dépasse pas les limites de la quarte. Les deux parties se
déplacent autour du ton mi et finissent chaque fois en venant du haut
(mélisme en mi) à la tonique en do dièse.
Berceuses:
Ninne Nanne
D’un
point de vue musicologique, il n’y a pas une grande différence entre
les complaintes et les berceuses. On peut juste s’interroger sur la
façon dont cette ressemblance a évolué.
Une théorie l’explique avec
l’hypothèse que, en Corse, d’une part par les invasions nombreuses,
d’autre part par la vendetta, une « atmosphère mortelle » permanente
aurait régné, expliquant que ces deux premiers genres de chants de
femmes aient si peu de caractères distinctifs permettant de les
différencier.
Une autre théorie est fondée sur la supposition que
la conformité de style chez les deux genres remonte à l’identification
de la mort et du sommeil.
NANNA DI U CUSCIONU
In li monti di Cuscioni c'era nata una zitedda è la so cara mammoni li facia la nannaredda è quand'edda l'annannaia stu talentu li prigaia Addurmentati parpena alegrezza di mammoni ch'aghju da allesti la cena è da cosgia li piloni pà u to tintu babbareddu è pà li to fratiddoni Quandi vo sareti grandi vi faremu lu vistitu la camisgia, lu buneddu è l'imbustu ben varnitu di stu pannu sfinazzatu chì si tessi in Curtichjatu Vi daremu lu maritu addivatu à li stazzali un biddissimu partitu è sarà lu capurali di li nostri muntagnoli picuraghji à capraghjoli |
Berceuse du Cuscionu Dans les montagnes du Cuscionu il y avait une nouveau-née et sa grand-mère affectionnée chantonnait pour l'apaiser et tandis qu'elle la berait cet avenir lui souhaitait Endors toi un petit peu toi la joie de ta grand-mère il me faut préparer le repas et coudre les pèlerines pour ton pauvre petit papa ainsi que pour tes grands frères Et quand tu seras plus grande une robe nous te ferons et la chemise et le jupon et le casaquin bien orné en cette étoffe surfine à Curtichjatu tissée Un mari nous te donnerons élevé aux bergeries un mirifique parti que pour chef reconnaîtront les hommes de nos montagnes gardiens de chèvres et de brebis |
Forme et structure du chant : Forme ABA‘ en trois parties
Noté en 2/4
Tonalité: mode éolien
Ambitus: Dixième ré1 – fa2
Progressions d‘intervalle: le plus grand intervalle est de sixte
Conduite
de la mélodie: les trois parties se terminent par un saut de sixte vers
le bas, de si à ré, puis un saut de quarte vers le bas de ré à sol.
De fréquentes répétions sur les tons de ré et si avant.
3.2.2 Chants d’hommes
- Paghjelle
- Complaintes à la mémoire d’un animal domestique, y compris parodies
satiriques
- Complaintes de bandits
- Chants de battage
- Chants d’amour / Sérénades (18 – 19ième siècle)
Paghjella
Elle
est LA forme la plus connue et la plus pratiquée en Corse : avec une
grande liberté du point de vue du contenu et, du point de vue de la
forme, avec une expressivité typique.
Du fait de sa place importante, elle sera l’objet d’un chapitre spécial
(No 5).
Complaintes à la mémoire d’un animal domestique (parodies
satiriques)
Pour
les animaux, il existe des complaintes graves et également des
complaintes humoristiques, mais du point de vue musical, elles ne
présentent aucune différence. Dans les lamenti sérieux, on se
plaint de la perte d’un chien, d’un âne, etc.… Les complaintes
humoristiques ont souvent des sous-entendus politiques satiriques
et sont comme des parodies de lamenti.
Complaintes de bandits
Pour
la plupart, la trame de ces lamenti était un résumé poétique de la vie
d’un bandit, avec l’explication et la justification de sa situation. On
pourrait dire que u lamentu di u banditu, en Corse, correspond à
une ballade ou à une chanson héroïque dans d’autres contrées.
Dans
le lamentu suivant, il s’agit de la même personne que dans le Voceru di
Ghjuvan Cameddu. L‘orthographe différente du nom a été expliquée plus
haut.
Le destin de Ghjuvan Camellu Nicolai de San'Gavinu di
Carbini est bien connu. Il est devenu bandit après avoir vengé son
frère Napuleone, qui, étant tombé amoureux de la fille de Lisandrone
Lanfranchi, avait pris la fuite avec elle vers Bastia. Le père de la
fille avait tué Napuleone et Ghjuvan Camellu l’avait vengé et avait
pris le maquis. Il fut aperçu, arrêté et exécuté par des gendarmes le
19 juillet 1888 après avoir, dit-on, participé à une fête de mariage
déguisé en femme. (Voir FUSINA, 2007)
Voceru di Ghjuvan' Camellu
Dal mio palazzu, cupertu à verde
fronde sulla Tasciana, niente si nasconde vedo Carbini è Livia, vedo Portivechju è l'onde meditendo il caso mio, la memoria si cunfonde Cusì pensosu, privu d'ogni cuntentu sfucar'mi vogliu, cun lacrimosu accentu poveru Ghjuvan'Camellu, dà principiu al so lamentu prego voi che m'ascoltate, compatire al mio talentu Io son'banditu, nel più bel'fior degli anni per mio fratellu, mortu cùn tant'affanni dopu d'avellu amazzatu, fù brusgiatu in i so panni ma speru ch'ognunu dica, ch'io sò natu cù li sanni Napuleone, fratellu isventuratu d'una donzella si n'era innamuratu poi partì per la Bastia, cun l'ogettu tant'amatu nun hè questu un gran'delittu, quandu l'omu hè seguitatu Disgraziatu, son'io per la furesta tuttu l'invernu, espostu à la timpesta sempre errente è pelegrinu, ditemi che vita hè questa? Una petra per cuscinu, la notte sottu la testa Quì cessu il mio cantu, addiu mei genitori addiu parenti, sustegnu del mio core nella mia trista sventura, mi ricumandu al Signore lu vostru Ghjuvan'Camellu nùn vi farà disonore |
De mon palais couvert de verdure
sur la Tasciana, d'où rien n'échappe à ma vue j'aperçois Carbini, Levie, Porto Vecchio et la mer mais quand je songe à ma destinée, ma mémoire s'y perd Je suis privé de bonheur et plein de soucis et je veux m'épancher pauvre Jean-Camille, commence donc ton lamento et je vous prie, vous qui m'écoutez, de compatir à ma peine Je suis devenu bandit dans la fleur de mon âge à cause de mon frère, tué si cruellement assassiné et brûlé dans ses vêtements mais j'espère que tout le monde saura que je suis né pour le venger Napoléon, mon malheureux frère s'est épris d'une fille dont il est tombé amoureux et est parti pour Bastia en sa compagnie est-ce un si grand délit quand l'amour est partagé Dans la forêt, où je demeure, je suis si malheureux! Exposé tout l'hiver aux tempêtes, j'erre toujours en solitaire dites-moi, est-ce une vie, de dormir chaque nuit avec une pierre pour oreiller? J'arrête ici ma complainte, adieu père et mère Adieu parents, réconfort de mon coeur dans ma triste aventure, j'implore Dieu mais votre Jean-Camille ne vous déshonorera point! |
Forme et structure du chant: - AA BB là où les
parties passent en 4 mesures notées 2/4
- les parties B commencent à chaque fois avec deux introductions
en seizième
Tonalité: éolien
Ambitus: Quinte la1 - mi2
Intervalles: principalement de seconde, trois de tierce, le plus grand
intervalle est la quarte de la à ré.
Conduite de la mélodie: Les parties A vont chaque fois au-delà de la
tierce supérieure jusqu’au do.
Dans
les parties B la mélodie se déplace principalement en intervalles de
seconde, du mi graduellement au-dessus du ré, do et si pour revenir au
la.
Chants de battage
« A tribbiera désigne à la fois un travail et un chant...
On
pratiquait le dépiquage du blé en faisant circuler à l'intérieur de
l'aghja (l'aire), un attelage de deux boeufs traînant sur les gerbes
une grosse pierre cylindrique, u tribbiu, chargée de séparer, en
écrasant les gerbes de blé jetées au sol, le grain de la balle qui
l'enveloppe. Le chant est entonné par le meneur des boeufs, qui
encourage la paire de bêtes qui tirent inlassablement en un mouvement
giratoire continu le tribbiu sur l'aghja. » (FUSINA,2007)
La dénomination tribbiera est d’origine latine tribulare (battre).
Pour
le musicologue, A Tribbiera constitue une rareté, même un cas unique de
préservation, parce que cette pratique comme son chant s'est maintenue
jusqu'à l'aube de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui a permis de les
sauvegarder par enregistrement lors des premières missions
ethno-musicologiques de Félix Quilici en 1962.
A Tribbiera
O tribbiate, li
bon boi è tribbiemu voi è noi chì lu granu tocca à noi ma la paglia tocca à voi volta è gira è voga tondu chì lu tribbiu pigli fondu pigli fondu è pigli cima volta è gira cum'è prima O caspura, o caspura chì la paglia torni pula torni pula è torni granelle ne feremu pane e bastelle |
Battez le blé, les
bons bœufs travaillons ensemble car le blé est pour nous mais la paille est pour vous Tourne et vire et tourne en rond que le tribbiu aille au fond au fond et sur le dessus tourne et vire comme avant Sécheresse, o sécheresse que la paille devienne poussière devienne poussière et devienne blé pour faire des pains et des fouaces |
Forme et structure du chant:: AA B (C)
Très libre rythmiquement, sans mesure
Tonalité : La majeur/la mineur
Ambitus: Quinte la1 - mi2
Intervalles: principalement de secondes, et tierces
Conduite de la mélodie: Ce style de chant de travail évoque un versu
crié
Comme
il est prévu pour faire avancer les animaux, ce n’est pas la mélodie
qui est au premier plan, mais le texte rythmique entraînant. Le dernier
ton est lancé avec un glissando du ré au la.
Chants d’amour/Sérénades
Cette
catégorie de chant sera présentée en s’appuyant sur deux exemples, dont
l’origine date de deux époques différentes de l’histoire corse,: une
vielle chanson corse typique de félicitations pour un couple venant de
se marier, Sirinatu a i sposi, accompagnée au violon, et une sérénade
plus récente influencée par la Toscane : Cun voi o Madamicella.
Sirinatu à i sposi
S'è vo durmite indu le piume svigliatevi un pucarellu cantà vogliu un sirinatu sottu à lu vostru purtellu un sirinatu pumposu degnu di lu vostru anellu Canta st'anellu in la machja cù l'albitru muntagnolu hè spuntata la viola hè natu lu pampsagiolu caccia pampana la vigna è canta lu rusignolu O Sgiò sposu, avete fattu un nidu di rundinelle in amore avete coltu lu fiore di le zitelle! Sempre felice sarete sottu le più belle stelle Abbraccè ne passerete cù li vostri sumniati à mezu à tutte le rose sempre cumè innamurati è cugliarete li frutti di li più fiuriti prati |
Sérénade aux époux
Si vous dormez bien douillets réveillez-vous un tantinet car pour vous je vais chanter là sous votre croisée une sérénade un peu ornée en l'honneur de votre hyménée Votre union chante dans le maquis avec l'arbousier de montagne la violette a fleuri le coquelicot est sorti la vigne fait ses vrilles et le rossignol ses trilles Vous avez, monsieur le mari fait un nid comme l'hirondelle en amour vous avez cueilli d'entre les filles la plus belle vous aurez sous bonne étoile félicité éternelle Enlacés vous passerez avec toute votre nichée au milieu de tous les rosiers toujours amoureux épris et vous cueillerez les fruits des prés les plus fleuris |
Forme et structure du chant:: en trois parties AAB
Très libre rythmiquement, sans mesure
Tonalité : La majeur
Ambitus: Sixte la1 – fa dièse2
Intervalles: principalement en secondes, et tierces avec une exception
: un saut de quinte de la à mi.
Conduite de la mélodie: Dans la partie A la mélodie va deux fois au do
dièse
Dans les parties B chaque fois au la.
Au
début viennent de fréquentes reprises de ton de mi ; ces reprises avec
la notation non métrique permettent de terminer sur le récitatif par
une improvisation en terzine. .
Cun voi o Madamicella
Cun voi o Madamicella ci ferebbi la mio vita o la mio capelli bionda in tuttu site cumpita dund'è vo passate voi ci lasciate la calamita La dumenica da mane Piazz'à Santa Margherita quand'è t'affacave tù ne si spannava la mio vita tutta tristezza passava ogni pena era finita Ùn ti ne ricordi più ne à la funtana di l'onda ti parlava pettu pettu o la mio capelli bionda à mè mi parie bella ancu più ch'è la Gioconda A to mamma era cuntraria à st'amore cusì distintu à quand'ella mi truvava mi dicia:"Chì tù sia tintu" è cusì la mio culomba chì lu nostr'amore hè spintu |
Avec vous,
Mademoiselle Avec vous Mademoiselle je voudrais bien faire ma vie o ma belle aux cheveux blonds en toute chose accomplie partout où vous passez comme l'aimant vous attirez Chaque dimanche matin Place Sainte Marguerite lorsque tu apparaissais ma vie s'épanouissait toute tristesse enfuie toute douleur évanouie Tu ne te souviens donc plus comme auprès de la fontaine je te parlais de tout près avec ta chevelure blonde comme je te trouvais belle encore plus que la Joconde Mais ta mère s'opposait à cet amour de qualité et quand elle me rencontrait disait: "Puissses-tu trépasser!" Et c'est ainsi ma colombe que notre amour s'est fané |
Forme
et structure du chant:: AA B là où les parties A à 4
mesures et se notent en � et la partie B à 6 mesures notée 2/4
Tonalité : La majeur
Ambitus: Octave mi- mi1
Intervalles:
le plus grand intervalle est de quarte, le plus fréquemment cependant
on trouve des intervalles de tierce et seconde.
Conduite de la mélodie: La première phrase des parties A amène au do
dièse, la deuxième au la.
Ce chant est exposé sans mélismes et sonne beaucoup plus doux que les
autres exemples
4 Polyphonie vocale corse
Si
on superpose à une mélodie existante, d’autres mélodies et qu’on les
joue simultanément, on produit alors de la
polyphonie.
Dans l’« homophonie »
(homophonos, grec = conforme/ unanime), la mélodie se présente au
premier plan comme voix principale, toutes les autres voix (=voix
secondaires) lui sont subordonnées, elles ont une fonction
d’accompagnement.
La différence la plus
importante entre l’homophonie et la polyphonie (polyphonos, grec =
polyphonique) est l’indépendance mélodique et rythmique de toutes les
voix. (ZIEGENRÜCKER, 1997)
Chaque voix a la même « valeur » et il n’y a aucun ordre hiérarchique
entre elles.
4.1 La paghjella
La
forme musicale la plus connue et importante en Corse, c’est le chant
dit « en paghjella. » A l’origine pratiquée exclusivement par les
hommes - en polyphonie – aujourd’hui elle est sur toutes les lèvres :
dans de nombreux concerts, elle est entonnée par femmes et hommes,
chantée de façon élémentaire ou à un niveau supérieur.
Comme musique vocale à trois voix indépendantes, elle peut être
utilisée sur toutes sortes de textes…
Traditionnellement, elle est chantée par des hommes, vêtus de noir,
disposés en demi-cercle.
LE
geste typique est le fait de porter la main à l’oreille de temps en
temps, un geste dont je n’ai pas réussi à trouver une explication
précise pour son sens initial. La plupart du temps, les chanteurs
disent que c’est pour mieux entendre sa propre voix en chantant, ou,
variante de cette explication, pour ne pas être « dérangé » par les
autres voix.
A Filetta (www.sylvanes.com/festival/images/filetta.jpg) download vom
5.12.2007
Paghja, en corse, veut dire « paire », comme en latin « paria »…
Mais
dans ce cas, le mot « paire » ne fait pas référence à une paire de
voix, c'est-à-dire à deux voix, mais au texte. La particularité, pour
une strophe de paghjella, ce sont deux demi-vers contenant chacun huit
syllabes qui, ensemble, font un vers entier. Les deux demi-vers
correspondent à deux demi-vers de la mélodie. Si le poème est composé
de trois vers, ce ne sont que trois strophes chantées qui font une
strophe en texte.
Forme des strophes :
1.Vers – Demi-vers = strophe
chantée
demi-vers
1
Strophe de texte 2.Vers
-demi-vers = strophe chantée
-demi-vers
3. Vers
-demi-vers = strophe chantée
-demi-vers
Exemple:
Paghjella di Ponte Novu
S'è tu passi per isse sponde pensa à salutà la croce Quì sò cascati l'Antichi cantendu ad alta voce Per difende a Libertà contr'à lu Francese feroce |
Si tu passes par ces rivages pense à saluer la croix Ici sont tombés nos aïeux chantant à pleine voix Pour défendre la liberté contre les féroces Français |
Les trois voix sont dénommées comme suit:
Terza (Voix haute): Elle est riche en mélismes (ou riccucati) et elle
sonne plutôt nette, tranchante et « métallique »
Seconda
(Voix médiane): c’est la voix principale portant la mélodie; également
riche en mélismes, elle sonne un peu moins tranchante que la
terza
Bassu (Basse): la longueur des
sons fait souvent penser automatiquement à un point d’orgue, mais ce
n’est pas du tout le cas ; en effet la ligne de basse se déplace. Elle
a une couleur sombre mais aussi plus douce que la terza.
Les rôles respectifs des voix:
A
Seconda expose la mélodie. Sur le dernier ton du motif principal ou sur
l’avant-dernier s’introduit u Bassu. En dernier entre la Terza,
souvent une octave au-dessus du Bassu.
Cette description est
très générale et sommaire. En réalité on voit qu’il y a autant de
variantes de Paghjella que de chanteurs….
Mais la plupart du temps le déroulement est le suivant : a seconda
commence, suivie d’u bassu puis de a terza.
Forme et structure du chant: AA’
A correspond au premier demi-vers,
A’ correspond au second demi-vers
Tonalité: si mineur finissant en si majeur
Ambitus:
Terza: Quarte ut2 dièse - fa2 dièse
Seconda: quinte si 1 - fa 2 dièse
Bassu : dixième Si - ré 1
L'ambitus de toutes les voix va de Si à fa2 dièse, il s'étend sur
plus de 2 octaves �.
Degrés d‘intervalle :
- en dehors du Bassu et au commencement pour la Seconda, il y a
exclusivement des intervalles de seconde
- le plus grand intervalle pour U Bassu est une quinte en descendant au
ton plus bas, le si
Conduite
de la mélodie: par cette analyse on comprend de façon évidente pourquoi
la partie du Bassu est considérée comme la plus difficile et pourquoi
en Corse les chanteurs de Bassu sont les plus rares. Tandis que la
Terza et la Seconda ne se meuvent qu'à l’intérieur d'un intervalle de
quarte ou de quinte, l'ambitus du Bassu, une dixième, est supérieur de
cinq tons, et le Bassu est la seule voix qui se déplace dans l'harmonie
de toutes les trois voix et pas seulement en secondes.
Harmonie: le morceau commence en si mineur et finit en si majeur
dans
le premier couplet la seconda et u bassu évoluent en tierces, dans le
second, où chantent les trois voix, la mélodie va de si mineur à mi et
de fa dièse à si majeur.
5. Rencontres de Chants polyphoniques
de Calvi
Chaque année, en septembre, se déroule le festival de chants
polyphoniques à Calvi.
En
2007, c’est pour la 19ième fois que des formations de nombreux pays se
sont rencontrées dans la cité méditerranéenne. Après des débuts
modestes avec juste quelques groupes régionaux, cette manifestation est
devenue une « scène polyphonique » parmi les plus appréciées
aujourd’hui.
L’ouverture s’est faite en accueillant
les voisins sardes, géorgiens, serbes, italiens et beaucoup d’autres.
L’échange culturel est vif, animé, évident… ainsi que l’euphorie et
l’enchantement… bien palpable – de la part des musiciens comme des
auditeurs. Depuis des années, ces rencontres sont l’occasion pour des
Français de venir en vacances en Corse et d’y retrouver des
germanophones (allemands, autrichiens…) enthousiasmés… comme moi,
l’année dernière, venue pour la première fois et tombée, de façon
inattendue et brusque, sous le charme de cette passion de la polyphonie
…
Tout a commencé par l’importance pour les chanteurs de chanter
en langue corse et d’être écouté en général, sans craindre que les
autorités françaises mettent fin au concert. L’intention était alors,
avec des textes actuels sur fond de mélodies anciennes, de secouer
l’indifférence de la population. Ensuite les choses ont évolué
par la rencontre, l’ouverture et les échanges avec d’autres «
cultures-sœurs ».
En 2007, j’ai été
personnellement fascinée avant tout par l’audace de la combinaison des
styles musicaux : des sons archaïques rencontrant le jazz. Le groupe A
Filetta, organisateur du festival et accueillant tous les groupes, a
osé une combinaison incroyable: faire jouer le trompettiste de jazz
sarde Paolo Fresu et son orchestre avec les chants traditionnels corses
et sardes.
Le public était séduit, captivé
!
6 Entretien avec Jean-Claude Acquaviva
(A Filetta)
L’entretien
suivant a été enregistré en septembre 2007 pendant les 19ièmes
Rencontres de Chants polyphoniques de Calvi. Jean Claude Acquaviva,
tête artistique et organisateur du festival et leader du groupe A
Filetta, s’est gentiment prêté à quelques questions. Cet entretien a
été enregistré par Jean-Claude Casanova, qui a également posé quelques
questions.
Quelques passages n’ayant pas été enregistrés, sont reproduits de
mémoire.
Margarethe Hlawa:
Les
trois voix de la paghjella sont dénommées : terza, seconda et bassu. Il
semble logique que l’on nomme a terza la voix la plus haute et u
bassu la plus basse. Mais pourquoi, pour la voix entre les deux qui, en
même temps, porte la voix principale, dit-on seconda et pas prima
? J’ai cherché, notamment chez Quilici et Laade, mais je n’ai
trouvé aucune explication.
Jean-Claude Acquaviva:
Je
crois que l’explication du fait qu’on dise a seconda et pas a prima,
même si c’est elle qui commence le chant, se trouve tout simplement
dans l’organisation, dans l’architecture musicale. U bassu, c’est la
basse, la terza, est souvent dans les intervalles de tierce, et a
seconda, c’est celle qui dans l’architecture musicale, est la seconde
(« au milieu », précise JCC) ; ce n’est pas un raisonnement musical, ce
n’est évidemment pas un intervalle de seconde…
Margarethe Hlawa:
En
Autriche, où il y a aussi des chants (à trois voix), mais pas
polyphoniques, il y a aussi terza et bassu mais, pour la voix première,
celle qui porte la mélodie, on dit prima.
Jean-Claude Acquaviva:
Mais
nous, nous avons raisonné par rapport à la chronologie d’entrée des
voix, sur l’architecture, sur l’étagement des voix… u bassu, a seconda
(parce qu’elle arrive après la basse), a terza ; et si on devait dire «
a prima », ce serait plutôt la basse pour nous…
Même
si il y a une voix qui entonne, qui démarre le chant, ensuite il n’y a
pas de voix « leader » ; dans la paghjella, on est plutôt dans un
déplacement des harmonies, davantage qu’un système où il y aurait une
voix à laquelle on aurait adjoint une basse et une terza.
J.-C. Casanova:
Mais éthymologiquement, « a paghjella », vient de « la paire » !
Jean-Claude Acquaviva:
oui.
J.-C. Casanova:
Alors, pourquoi « deux » et pas « trois » ?
Jean-Claude Acquaviva:
Il y a deux explications :
Première
hypothèse : on pensait qu’à l’origine, la paghjella était constituée de
deux voix, a seconda et u bassu et que a terza ne serait arrivée
qu’ultérieurement.
J.-C. Casanova:
Mais cela contredit l’idée de dire « a seconda »
Jean-Claude Acquaviva:
Absolument, et même musicalement, cela semble bizarre…
Donc,
l’explication la plus plausible est que la paghjella est chantée sur
des vers octosyllabiques, qui sonnent et qui vont « deux par deux »
« Què so voci muntagnoli/ spurgulate di cannella
beienu tutte le mani/ l’acqua di la funtanella »
En fait elle serait plus basée sur le verbe, sur la métrique que sur le
musical…
Margarethe Hlawa:
Ma
question suivante concerne les « chjam’è rispondi » : est-ce que vous
croyez que la langue corse est spécialement appropriée à rimer ?
Parce qu’il s’agit d’une pratique artistique très spontanée. En
Autriche il y a une tradition similaire, le « Gstanzlsingen » mais
c’est beaucoup moins spontané.
Jean-Claude Acquaviva:
Je
ne pense pas que ce soit lié à la langue ; elle n’a pas forcément une
force poétique supérieure. Je crois simplement que cela vient du fait
qu’il y a en Corse toute une tradition orale particulière, une force
orale chantée mais aussi parlée. Le verbe est extrêmement important, le
conte, la poésie orale ont beaucoup d’importance …
Comme disait
Quilici, souvent on est surpris d’entendre des bergers chanter des vers
de Dante alors que ce n’étaient pas forcément des gens qui avaient reçu
une instruction spéciale…
Margarethe Hlawa:
Mais il y a des langues moins mélodieuses (le tchèque par exemple) et
moins „rimées“, non?
Jean-Claude Acquaviva:
Je ne sais pas.
Margarethe Hlawa:
Ne serait-il pas plus facile de rimer en corse parce que la langue « en
soi » est beaucoup plus mélodieuse que d’autres ?
J.-C. Casanova:
Oui, peut-être aussi, parce qu’il y a souvent des voyelles comme
finales ?
Jean-Claude Acquaviva:
Peut-être.
Peut-être parce que, comme l’italien, la langue corse est une langue
chantante… c’est une question d’accent tonique. D’ailleurs, en Corse,
l’accent tonique n’est pas toujours respecté, même dans les chants
traditionnels ; on a la tendance dans le chant, à’accentuer les
dernières syllabes, alors qu’en corse on n’accentue jamais la dernière
syllabe, sauf s’il y a une indication expresse …
Margarethe Hlawa:
Vous croyez donc que c’est plutôt la tradition…
Jean-Claude Acquaviva:
Moi, je pense que c’est plus lié à la tradition, au fait que le verbe,
la parole a une importance capitale…
Que
la langue soit chantante, c’est évident, mais j’aurais tendance à
penser qu’il n’y a pas de langue qui ne soit pas chantante ; pour moi,
les langues chantent toutes – elles chantent chacune à sa façon …
Margarethe Hlawa:
Oui, c’est vrai, à leur façon…
Jean-Claude Acquaviva:
Maintenant,
la langue corse a peut-être, comme l’italien, des sonorités qui ne sont
pas dures, il n’y a pas de sons gutturaux, difficiles à concevoir à
l’émission (« pas de grognements », intervient JCC1) ,
ce
qui la rend peut-être plus fluide, mais je pense que c’est uniquement
une question de tradition. Parce que la poésie orale a ici une place
particulière, parce que l’écrit ne s’est pas développé ; aussi, l’écrit
ne se développant pas, l’oralité a été débordante d’imagination…
(1) Faisant allusion à un article de Corse matin qui avait utilisé ce vocable pour qualifier la prestation du groupe mongol Huun Huur Tu !
Margarethe Hlawa:
Bon, merci.
J’ai
recherché s’il y avait des chants pour les femmes et les hommes.
Aujourd’hui, avec Patrizia Poli et l’autre Patrizia (Gattaceca), … on
mélange les voix d’hommes et de femmes, mais à l’origine ils chantaient
séparément ?
Je voudrais savoir s’il n’y a vraiment pas de polyphonies mixtes…
Jean-Claude Acquaviva:
À l’origine, il n’y a pas eu de chants mixtes…
Margarethe Hlawa:
…seulement les voceri, lamenti …
Jean-Claude Acquaviva :
…
oui, il y a eu une partie qui était dévolue à la femme et une partie du
répertoire qui est masculine. Le répertoire polyphonique, en général,
est masculin. Pour quelle raison?
Et pourquoi pas de chants mixtes ?
L’explication est aussi bien sociale que musicale.
Musicalement :
Vous
avez vu que la polyphonie corse est très serrée en intervalles, on
chante dans la octave. Et le problème est là : si vous faites chanter
des hommes et des femmes ensemble, tout de suite vous décalez le
registre parce qu’on ne chante plus dans la même octave. Et du coup,
vous avez un son qui n’est absolument plus le même.
Ca c’est l’explication musicale
Dans de nombreuses cultures, la tessiture est également très limitée.
Pourquoi ?
Nous
comme chanteurs, dans notre désir de chanteur, parti d’un travail
d’héritage en essayant de prolonger une tradition, et notre envie est
de faire sonner les choses comme nous avons envie de les entendre. Et
quand vous faites du chant mixte, cela ne sonne plus de la même façon
que comme avant ;
Ce sont là des raisons musicales et esthétiques, pas scientifiques …
L’autre explication est plus logique du point de vue de la vie sociale.
…
Le
chant polyphonique est un chant qui se développait en des circonstances
bien particulières : dans certains types de travaux agricoles, à
l’occasion des cérémonies religieuses : mort, liturgie, messe des
défunts, requiem. De fait, l’organisation sociale a conduit à ce qu’il
y ait des choses faites par les hommes et d’autres faites par les
femmes, et on ne faisait pas ces choses ensemble ; par exemple les
confréries ont toujours été masculines.
Dans l’organisation de la
société, les hommes vivaient plutôt dehors, la femme à la maison. En
Corse, en Méditerranée, il n’y avait pas d’espace pour chanter ensemble
après le retour au village ou à la maison…
Margarethe Hlawa:
Pour
moi, comme musicienne classique, il serait très intéressant de savoir
comment se passent vos répétitions. Chez nous, chacun reçoit une
partition et se prépare seul, à la maison avant qu’on se retrouve dans
l’ensemble. Comment ça marche chez vous ? Dans les répétitions pour
Médée par exemple ? C’est vous qui avez l’idée – et ensuite, comment ça
démarre ? Comment vous faites la passer pour la première fois aux
autres ?
Jean-Claude Acquaviva:
Il y a deux choses : est-ce que vous voulez savoir comment ça marche à
l’exécution où à la composition ?
Margarethe Hlawa:
Je voudrais savoir comment vous exposez votre nouvelle composition aux
autres…
Jean-Claude Acquaviva:
Il y a deux façons de travailler.
Traditionnellement
et en général, on apprend et explique aux autres en disant: Si tu veux
apprendre à chanter ? Alors, tu te mets là et écoutes… une fois, deux
fois, trois fois, un an, deux ans, trois ans … et celui qui est là, il
écoute, il écoute et puis il répète et puis il chante et au bout d’un
moment il comprend l’organisation et se met à chanter lui aussi – ça,
c’est une des hypothèses, et la façon comment cela fonctionne sur le
plan traditionnel …
Ensuite il y a le travail que nous avons fait
en tant que groupe où on ne fait pas que du chant traditionnel, où il y
a aussi des choses qui sont composées. Nos créations sont composées de
trois façons :
1. La composition orale : Je pense à un chant,
je pense à des harmonies, oralement, je chante le texte et je dis : moi
je chante ça… et à tel moment tu fais : lalala… et il y a
mémorisation, progressive … et seulement orale - ça
c’est une façon ;
2. Ensuite il y a l’inverse, l’écrit,
parce qu’il y a des choses qui sont très écrites aussi maintenant.
Depuis des années on a travaillé avec des musiciens et on a essayé de
comprendre ce qu’on chantait, comment ça fonctionnait et on s’est mis à
écrire aussi. À partir du moment où les choses sont écrites, comment on
fait ? Parce que ceux qui vont chanter ne connaissent pas l’écriture,
ne savent pas la « lire » ; ils ne comprennent pas la musique.
Donc
il y a une solution très technique, très moderne : on s’est équipé
d’ordinateurs les uns et les autres et on a des logiciels de lecture de
musique… dans les ordinateurs on a des programmes d’écriture…
et
quand moi, j’écris une polyphonie, je la donne aux autres qui écoutent.
Et ils mémorisent, voix par voix, toutes les voix… cela c’est une autre
façon de travailler. Une fois que tout le monde a mémorisé sa voix, non
seulement sa ligne mélodique mais aussi les harmonies, il apprend sa
voix et se familiarise dans l’ensemble.
3. Quand on fait des
chants comme s’ils étaient pensés traditionnellement mais qui sont
écrites. Mais la mesure n’est pas écrite ; on passe d’accord à accord,
mais on ne chante pas « en mesures » et les mélismes font que l’on
déforme le chant. …
La rythmique vient du verbe, de la diction.
C’est la raison pour laquelle c’est un très long travail et très
difficile à faire – parce que tout est à mémoriser, le texte et les
harmonies… on a par exemple, travaillé pendant des années à Médée… et
cela change toujours… si on ré-enregistrait Médée maintenant, cela
serait très très différent de cela qu’on a enregistré en 2005 … et il y
a une voix de plus… ; une voix de plus qui parfois double les voix
existantes mais qui à d’autres moments développe d’autres choses.
(Margarethe : Les harmonies sont fixes et les mélismes sont libres
? )
Simplement
on sait qu’on va de telle harmonie à telle harmonie et que, en allant
de telle harmonie à telle harmonie, l’oreille fait qu’il y a des
mélismes qui sont de telle ou de telle façon. C’est comme un musicien
qui fait du Jazz…
On a une façon de travailler qui est
inspirée du traditionnel, qui a évolué vers quelque chose qui est plus
écrit et on est encore dans les choses qui vont de l’écrit au
complètement oral à la chose qui est orale mais qui pourrait être
écrite …
Quelques mots sur la conservation et la création… la démarche vers la
musique vivante … et toutes les deux sont nécessaires…
Margarethe Hlawa:
Ma
dernière question: J’étais à Corte le 14 juillet et j’ai écouté un très
jeune groupe avec deux guitares électriques, bass-guitare,
batterie …
ils chantaient corse et tous les jeunes gens
autour, chantaient aussi en corse. Est-ce qu’ils parlent aussi corse….
Est-ce qu’ils parlent corse ou juste pour les chants ?
Jean-Claude Acquaviva :
Une
excellente question… il faut essayer de comprendre les choses par
rapport à ce qui s’est passé historiquement ici, par rapport à cette
langue et à la musique. Le corse est une langue qui a toujours été
pratiquée à l’oral, une langue qui était très peu écrite, qui a
commencé à être écrite à la fin du 19iéme, avant cette période-là, la
Corse, ayant été longtemps italienne, ensuite conquise par la France au
18ieme.La Corse a été un pays, une terre, où l’écrit a subi et
connu des obstacles au développement, parce que, pendant
longtemps, l’écrit était l’écrit de l’Italie ; la Corse a été une
partie de son histoire en résistance contre l’Italie, contre Gènes ….
Donc il y avait une langue parlée mais la langue savante était la
langue du pays dominant, donc la langue de l’Italie.
Ensuite il y
a eu la conquête française. À partir du moment où la France a conquis
la Corse, il y a volonté de la France de dire : ça, c’est un bout de la
France, et dans un bout de la France il faut parler français…
donc il y a une volonté de l’État d’affaiblir et de faire reculer le
corse et d’autre part de faire en sorte que la Corse se débarrasse
aussi de son italianité – que le corse ne soit pas parlé et que
l’italien peu à peu disparaisse.
….
A partir des années
1970, il y a une volonté de protéger les choses, la prise de conscience
qu’il y a une langue, un patrimoine oral … qui sont indispensables à
préserver… tout un travail qui a été fait par des chanteurs, acteurs,
écrivains, des gens qui se mettent à produire etc. Et la musique
devient, à ce moment là, le premier vecteur de la langue corse – le
vecteur le plus important pendant des années. Il y avait plein de
groupes comme nous qui chantaient des chansons en corse, les gens les
chantaient. C’était une façon d’apprendre à nouveau la langue, de se
familiariser avec la langue et c’était extrêmement positif !
Mais,
comme toute chose a son revers, le problème était que, pendant ce
temps, le travail d’enseignement, de diffusion etc. etc… n’a jamais été
fait ; il n’y pas eu suffisamment d’efforts, donc en fait, petit à
petit, le corse est devenu presque une langue qui est plus chantée que
parlée.
Cela veut dire que peut-être, parmi ces jeunes que vous
avez entendu, il y en a qui peuvent vous chanter des chansons pendant
une heure, mais si vous leur parlez en corse, ils ne vous répondront
pas en corse.
…
Il est possible qu’il y ait un
décalage entre les jeunes qui chantent, qui donnent le sentiment
d’avoir une maîtrise de leur langue qui, en réalité, ne l’ont pas parce
que la musique a été tellement présente, a tellement pris de place,
d’espace dans la société corse qu’aujourd’hui vous avez beaucoup de
gens qui savent chanter mais ne savent pas forcément de parler …
7 Polyphonie vocale corse de 1960
à 2007
Bien
que le groupe "A Filetta" soit étroitement lié à son île et à ses
traditions, dans l’interview avec RFI, Jean-Claude Acquaviva revendique
pour sa musique une (grande) ouverture au monde.:
«
Même si nous sommes, tout naturellement et profondément enracinés dans
nos traditions, cela ne veut pas dire qu’il serait nécessaire pour nous
de le prouver en permanence. Cela ne nous empêche pas d’être ouverts au
monde. Notre tradition est fondée sur des chants maghrébins, des chants
berbères, sur des chants polyphoniques qu’on trouve en Albanie, en
Sardaigne et en Géorgie. Pour nous il est important de ne pas se fermer
aux autres cultures. Si l’on se contente de dire que ‘la forme et les
contours de la tradition sont fixes et figés, on ne fait que de la
culture de musée. La tradition n’a un sens que dans son rôle de reflet
de l’esprit d’un peuple, qui ne cesse pas d’évoluer»
( - http://forum.festspiele.de/thread.php?postid=7136 - download
vom 12.11.07)
Mais
le chemin pour arriver à cette conception a été bien long et difficile.
Voir s’éteindre sa propre culture et lutter de toutes ses forces ne
laisse pas beaucoup d’espace pour une attitude ouverte … Mais la
lutte a valu la peine ! Même si les jeunes ne parlent le corse que très
peu et si beaucoup des us et coutumes traditionnels ne sont plus
pratiqués, simplement parce qu’ils ne sont plus nécessaires dans la vie
moderne, la culture corse est quand même vivante aujourd’hui. A sa
façon. Elle re-vit… et avec
fierté.
Maintenant quelques éléments supplémentaires pour comprendre comment la
Corse en est arrivée là aujourd’hui.
Comme
déjà évoqué au début de cet ouvrage, la dépopulation après la Première
Guerre mondial a fait disparaître les structures sociales villageoises.
Et avec elles les chants, du moins la plupart, ont perdu leur fonction
et avec elle leur utilité …. C’est ainsi que Janine Leca a expliqué le
phénomène à Wolfgang Laade, en 1973: « C’est normal, et pas du
tout étonnant, que les vieilles chansons disparaissent… Ce que les
vieux chantaient, faisait partie de leur vie quotidienne. Pour eux, les
chants avaient un sens. Pour les jeunes, cette importance est perdue,
le sens de ces chants ne peut plus exister parce que les modes de vie
ont changé complètement. »
(LAADE, 1981-87)
Et
Laade lui-même commente au début de ses écrits sur « La situation
musicale 1973 » (Die musikalische Situation 1973): « Pendant que
j’étais sur l’île, en 1973, en recherchant des restes de la chanson
corse populaire, il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir l’impression
que chaque enregistrement avec mon microphone ressemblait à une
dernière photo avant l’enterrement, avant la disparition définitive de
ce monde. Et bien sûr, le sentiment de regret se mélangeait avec la
certitude que cette disparition était inéluctable. » (LAADE, 1981-87)
Mais il écrit à la fin du chapitre :
«
Si les lamenti de bandits, les voceri et les autres chants anciens
peuvent – grâce à leurs hautes qualités poétiques, leurs contenus
dramatiques et leur âme corse authentique – revivre avant d’avoir
complètement disparu, comme par exemple les ballades d’Irlande,
d’Écosse et des États-Unis ou la chanson populaire d’Italie, d’Espagne
et d’Amérique Latine, et peut-être même avec un décalage social
similaire, parce qu’elles auront été récupérées par des groupes
d’étudiants et ainsi destiné à revenir vers des couches plus larges de
la population, cela ne se vérifiera peut être que dans la prochaine
décennie, de même que si les formes anciennes - et surtout les types de
mélodie servant traditionnellement pour les improvisations poétiques –
auront des contenus actuels et par conséquent bien revivifiés et
pratiqués comme dans les pays cités, mais aussi dans quelques régions
extra-européennes, si les chansons de l’Abbé Filippi
représenteront la fin ou un nouveau démarrage d’une tradition, - ou si
les racines du chant corse seront complètement desséchés comme elles le
sont pour le nôtre en Allemagne. » (LAADE, 1981-87)
Non, les
racines ne sont pas desséchées. Quand on traverse en voiture la Haute
Corse, on remarque bien toutes les affiches au bord de la route, sur
les arbres, sur les murs et dans les vitrines des commerces, annonçant
des concerts de chants traditionnels et des polyphonies. Il y a nombre
de formations corses qui donnent des spectacles, et pour la plupart
ceux-ci se déroulent dans des églises. Comment cela a t-il évolué
?
Dans notre chapitre 2 „Histoire et langue de la Corse“, les années 1960
à 1970 n’ont pas été analysées en détail.
Le
chômage et la désorientation régnaient sur l’île. La plupart des jeunes
Corses partaient sur le continent. Ceux qui étaient restés, se
trouvaient dans la misère économique, et peu soutenus par le
gouvernement français. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase fut
le retour massif des colons Français d’Algérie et du Maroc. (dits
: pieds noirs)
L'arrivée des pieds-noirs en Corse a
entraîné de très gros problèmes. L'expérience et le dynamisme des
colons, un groupe social autonome, avec une pensée, un mode de vie et
des pratiques économique différents ont ébranlé les habitudes
insulaires. Ils avaient tout perdu en Algérie et maintenant, ils
défrichaient et plantaient, s’endettaient, mais apportaient de la
main-d'œuvre bon marché en provenance d'Afrique du Nord.
Leur
succès visible blessait la fierté des Corses, à qui, pendant de
nombreuses années, ces subventions, qui maintenant, rendaient possible
pour les pieds-noirs, un petit miracle économique, avaient été
refusées. Les longues querelles politiques comme économiques, et
fiscales, avec la capitale ont déterminé les rapports des Corses
vis-à-vis des étrangers. La méfiance, même si ce n'est pas forcément
l'hostilité générale, a marqué les relations entre les deux groupes dès
le début. Les rapatriés, même si bon nombre d’entre eux étaient
d’origine corse, étaient devenus des étrangers dans un pays qui est
opposé à tout développement fébrile. Ils avaient perturbé le rythme de
vie de ce peuple, distordu les prix, introduit un esprit de concurrence
dans une société d’artisans et de bergers qui suivait encore des règles
morales ancestrales.
Des gens qui recherchaient juste la
satisfaction des besoins élémentaires ici. Et les nouveaux venus, avec
leurs profits, ont fait le jeu des spéculateurs du tourisme et de
l’immobilier du continent, regardant de plus en plus avidement les
terrains pour construire de nouveaux établissements sur les plages et
les périphéries urbaines. Dans leur désir de conquête, semblable à
celui des anciens envahisseurs, ils ont dressé tout un peuple dans le
fond, plus habitué à la tolérance qu’à la révolte, contre eux.
L'aide
massive accordée à ces Français d’Algérie a été ressentie comme une
provocation : alors que des Corses ne recevaient que très peu de
crédits pour leur propre agriculture, des subventions ont été versées
abondamment aux 17.000 Pieds-noirs - et souvent sur de faux
comptes bancaires. De nombreuses promesses de la part de l'État
français (p. ex. : l’amélioration des transports avec le continent)
n’ont pas été tenues ce qui a conduit, enfin, à la formation de groupes
autonomistes et séparatistes. Les extrémistes qui se considèrent comme
des successeurs des milices de Paoli, ont exigé, entre autres, le
retrait des néo-colons, la distribution de leurs terres aux Corses et
le remplacement des Français du continent dans l'administration
centraliste par des Corses. Pour atteindre ces objectifs, ils ont
essayé de se faire entendre par des attentats.
(cf. / voir -
http://www.uibk.ac.at/geographie/studium/exkursionen/korsika00/pieds/pieds1.phpl
- téléchargement du 1.12.2007)
Ainsi a commencé le temps des
attentats à la bombe et de l'aspiration à l'autonomie. Le FNLC (Front
de Libération Nationale de la Corse) s’est formé. Beaucoup de jeunes
Corses ont trouvé à nouveau un objectif, une mission et aussi l'espoir
d'un avenir meilleur.
Dans ce contexte particulier, en cette
période de découverte d'identité, ou plutôt de recherche d'identité,
les chants corses ont retrouvé une place dans le coeur de la
population. Les chants, méprisés comme démodés et poussiéreux ont
donné une orientation aux hommes et les ont aidé, dans la prise de
conscience de leurs racines et de leur culture.
en 1976 : CANTA U POPULU CORSU – le peuple corse chante
…
Une poignée de jeunes gens, passionnés de musique, amoureux de leur
terre et de leur histoire, ont exhumé les anciens chants de leur
culture, les ont sortis de l’oubli et du mépris et les ont portés comme
l'expression la plus authentique de leur île. Au début, ils étaient
trois : Jean-Paul Poletti, Petru Guelfucci et Minicale. Sans le savoir
et sans en être conscients, ces trois Corses ont lancé le riacquistu,
la reconquête de la musique corse. Jean-Paul Poletti : ‘La grande idée,
c’était de faire chanter tout le monde. On voulait débusquer les gens
chez eux, leur faire redécouvrir leur patrimoine, puis les former à la
polyphonie et à technique de la ribbucata’…. Canta est devenu bien plus
qu’un groupe : le fer de lance d’une prise de conscience collective.
Canta c'étaient deux syllabes magiques derrière lesquelles toute une
génération s'est retrouvée… (cf. voir LEHOUX, 2000)
D'autant
plus qu'aux chants traditionnels des débuts sont venus rapidement
s’ajouter des créations modernes, très ancrées dans la réalité de
l’île. Le groupe a grandi et sa popularité a augmenté avec chaque
concert. À cet époque, le but n’était pas de faire de la musique
professionnelle mais premièrement, de mettre quelque chose sur pied
ensemble, et deuxièmement, d'apporter de plus en plus des points de vue
politiques clairs et de les faire connaître dans le peuple. Un des
nombreux groupes qui s’est formé de Canta - et par Canta - : I Chjami
Aghjalesi.
I Chjami Aghjalesi: « Au début, c’est vrai, on a eu
un discours très engagé et un public très militant. Mais tout était
politique. Imaginez un peu: il y avait près de deux cents prisonniers
politiques sur une population de deux cent mille personnes ! Et puis
les indépendantistes étaient les seuls à soutenir la création corse,
les seuls à encourager la paghjella. On a beaucoup chanté en faveur des
prisonniers et des clandestins. Mais quand les pressions sont devenues
trop fortes, trop pesantes, lorsqu’on a voulu nous instrumentaliser,
nous nous sommes écartés… On peut garder ses convictions et soigner son
autonomie. » (LEHOUX, 2000)
Petit à petit, la
situation en Corse a changé. Les formations de chant ont abandonné
leur manière originale et non-professionnelle mais résolue.. De concert
à concert, ils sont devenus plus professionnels. Pour certains, des
instruments modernes ont été incorporés, d’autres se sont tournés vers
des musiques plus modernes. La voie d'un des groupes les plus célèbres,
I Muvrini, était celle de la Pop. Très populaires dans la jeunesse, ils
évoluent désormais sur la scène Pop, sans trahir leurs racines.
A
Filetta, en revanche, a cultivé la manière de chanter la paghjella pour
arriver à une perfection ; ils accompagnent des pièces de théâtre,
participent à des enregistrements de bandes-son pour des musiques de
film (comme p.ex. « Himalaya » ) et sont très tentés de se
développer de plus en plus. Comme déjà évoqué dans le chapitre
précédent, à côté des interprétations très archaïques, personnellement
j’aime surtout la fusion avec le jazz. Et on peut respirer de
soulagement en pensant que l’âme corse est redevenue assez libre pour
oser des aventures de ce genre et qu’elle ne risque plus de disparaître
dans le désert musical sous la pression permanente du besoin de se
prouver et de se définir.
8 Conclusion
La Corse vous saisit … . Ses chants émeuvent…
Pas
seulement l'auditeur, mais aussi l'île elle-même. Les vibrations
musicales de l'île ont touché les hommes, stimulé le changement et
l'ouverture.
Le rôle de la femme « chantante » a également
changé. Lors des premiers récits de Laade au sujet de ses
enregistrements en Corse, on lit toujours qu’il était difficile
d’inciter des femmes à chanter - et qu'elles se tenaient toujours
silencieuses à l'arrière-plan. Aujourd’hui, il n’est plus question de
silence. Les premières révolutionnaires étaient E due Patrizie (les
deux Patrizia), Patrizia Poli et Patrizia Gattaceca. Pour ces deux
musiciennes, le signal de départ fut donné à l'école, par
l’encouragement de leur professeur de mettre leurs textes en musique.
C’étaient les premières femmes admises à égalité de niveau dans le
cercle du riacquistu.
Elles se sont perfectionnées depuis ces
débuts. L’une en direction du théâtre et du chant, l’autre vers la
musique rock. En 1990 elles ont été réunies à nouveau dans un grand
projet musical. Patrizia Poli a eu l’idée de composer des polyphonies
et de les combiner à quelque chose de nouveau. Elle a travaillé en
collaboration avec l’arrangeur et compositeur Hector Zazou et est
parvenue à réunir tous les musiciens corses, hommes et femmes se
trouvant sur des chemins différents, pour participer à ce projet nommé
„Nouvelles Polyphonies Corses“ – culminant dans la reconnaissance et le
triomphe international de ce groupe corse : d’être invités à chanter
aux cérémonies d'ouverture des Jeux Olympiques d'Albertville.
Après
un certain temps ensemble dans cette « aventure » les musiciens ont
poursuivi sur leurs propres chemins et des projets nouveaux sont nés.
La Corse saisit. Elle-même et les autres.
Et lors des
Rencontres Chants polyphoniques de Calvi (de) cette année 2007, on a pu
entendre l’évolution musicale et ses développements passionnants : la
fusion avec d'autres styles de musique et d'autres cultures.
Mais
malgré tout, les Corses sont des Corses, et la musique corse restera de
la musique corse. Il est manifeste qu’on ne peut pas rester indifférent
au fait qu’ils sont conscients et fiers de leur tradition, malgré
toutes les ouvertures.
Quand on sait combien le chemin vers
l'identité culturelle a été chaotique, tout devient clair. Et on peut
également facilement l’observer dans les relations qu'ils entretiennent
entre eux: Patrizia Poli, à Calvi, en Septembre 2007, a donné un
concert avec le guitariste et chanteur Nilda Fernandez. Et dans le
public devant moi, ses amies, c'est-à-dire ses collègues, étaient
assises dans le public, directement devant moi, Lydia Poli (sa sœur) et
Patrizia Gattaceca…
Lorsqu’une d'entre elles donne un
concert, elles viennent toutes. Ce ne sont pas seulement des amies. Ce
ne sont pas seulement des collègues. Ce sont des femmes Corses. Et même
si, momentanément, chacune prend son propre chemin et s’ouvre à de
nouvelles directions, elles ont beaucoup vécu ensemble, beaucoup fait
de choses ensemble et beaucoup réussi en commun - et cela avec et par
la force des chants corses.
Corsica…un’isula chì canta
Bibliographie
En allemand :
ARDITO,
Fabrizio / GAMBARO, Cristina / MAGRI, Angela: Korsika (Übersetzung:
Barbara Rusch). Dorling Kindersley Verlag GmbH, München, 2003
FUSINA,
Ghjacumu / KÜHN, Gerda-Marie / ZEIHER, Herbert: Corsica…un’ìsula chì
canta, …une île en chansons,…eine Insel in Liedern. Imprimerie
Sammarcelli, Corsica, 2007
HÖRSTEL, Wilhelm: Die Napoleoninseln Korsika und Elba. Berlin, 1908
LAADE, Wolfgang: Das korsische Volkslied. Wiesbaden-Stuttgart, 3 vol.,
1981-1987
LAADE, Wolfgang: Die Struktur der korsischen Lamento-Melodik.
Baden-Baden, 1962
LEHOUX,
Valérie: Cantu di Corsica, l'histoire d'une reconquête (Übersetzung:
Gerda-Marie Kühn). CHORUS, revue spécialisée musique, trimestrielle No
31, Avril-mai-juin 2000
MÜHL, Heike / BOLL, Klaus / SCHRÖDER, Dirk / CREDNER, Barbara: Kosika.
Nelles, München, 2005
ZIEGENRÜCKER, Wieland: ABC Musik, Allgemeine Musiklehre, Breitkopf und
Härtel, Wiesbaden (Neuausgabe), 1997
En français :
CATINCHI, Philippe-Jean: Polyphonies corses. Cité de la musique/ Actes
Sud, 1999
DE ZERBI, Ghjermana: Cantu nustrale. Scola corsa, Bastia, 1981
TENAILLE, Frank: Corse, Polyphonies et chants. Éditions du Layeur,
Paris, 2001
Recherches sur internet :
http://www.reisetops.com/korsika/db_site.cgi/site_38/
http://www.l-invitu.net/afiletta.php
http://www.nzz.ch/nachrichten/international/suehne_fuer_ermordung_eines_korsika-praefekten_1.583823.phpl
http://www.sylvanes.com/festival/images/filetta.jpg
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