C'est à Toni Casalonga que j'emprunte ces quelques explications sur le chjama è rispondi.
Cette "joute oratoire" improvisée, chantée et rimée sur un thème choisi, était pratiquée par les bergers.
"(...) Constitué de strophes de trois vers « terzini » de 16 pieds, rimant en général soit A/A/A, soit A/A-B/B avec une rime interne entre les deux hémistiches du troisième vers, le chant du Chjama è rispondi est porté par une mélodie étagée sur une quinte descendante, sans accompagnement instrumental ni vocal, sauf en de très rares exceptions. Il a l’allure d’une conversation rimée, sans autres règles que celles de la bienséance et de la courtoisie. Il peut être laudateur ou critique, et se pratique à deux ou à plusieurs, tant dans des circonstances publiques –fêtes, foires, célébrations, manifestations- que privées.
LA MECANIQUE
Bien que les poètes répondent, quand on les questionne sur les mécanismes de leur art, que c’est un "don", certains d’entre eux on livré quelques secrets. Comme Roccu MAMBRINI dit U Russignolu, qui en avril 1985 m’expliquait en confidence qu’il écoutait l’autre poète tout en pensant à ce qu’il allait répondre. Et que, à mesure que se développait le chant de l’autre, il choisissait un ou plusieurs mots sur lesquels il répondrait, il préparait sa – ou ses – rime finale, ainsi que celles du deuxième et du premier vers. Que, si les rimes donnaient le sens de sa réponse, le sens lui-même portait à certaine rimes : mais que le sens était l’essentiel. Que, si le final de l’autre lui convenait, il s’en servait comme argument, et pouvait même le répéter pour se donner du temps et préparer, en le chantant, ses rimes et sa réponse. Que la lenteur du chant permettait à la pensée d’anticiper, et qu’il ne comptabilisait pas les pieds qui lui venaient naturellement du rythme de la mélodie.
Deux propositions
Si nous sommes convaincus avec BACHELARD que "la poésie est une métaphysique instantanée" on peut proposer comme premiers rouages du mécanisme du chjama è rispondi :
- 1/ la Simultanéité dissociée, dans une première phase, intériorisée, de l’écoute et de la préparation puis, dans une deuxième phase extériorisée, du chant du premier vers avec la conception des suivants.
Cette simultanéité est rendue possible par la lenteur du développement mélodique (horizontal) fondé lui-même sur la prosodie. La continuité simple du temps est détruite, et "on peut découvrir les éléments d’un temps arrêté, sans mesure, d’un temps que nous appellerons vertical pour le distinguer du temps commun qui fuit horizontalement".
2/ Le renversement chronologique, constitué de 5 phases ainsi décomposables :
L’auditeur
C’est à la fin de la strophe que l’auditeur perçoit le pourquoi des deux premiers vers, et, par un renversement symétrique à celui du poète, opère une réévaluation rétrospective. Mais, s’il est un véritable amateur, cette réévaluation n’est pas totale, car son intuition, son habitude du chjama è rispondi, son sens de la rime lui ont permis d’anticiper sur la réponse. C’est là un de ses plus grands plaisirs. Mais le poète peut aussi le surprendre, et, alors, le plaisir est plus grand encore. Parce que, et ainsi conclut le philosophe : "… toutes les règles prosodiques ne sont que des moyens, de vieux moyens. Le but, c’est la verticalité, la profondeur ou la hauteur ; c’est l’instant stabilisé où les simultanéités, en s’ordonnant, prouvent que l’instant poétique a une perspective métaphysique". Avec l’apport essentiel de la prosodie, (le rythme) celui de la rime (le mot) et celui de la mélodie (le chant), la sphère physique (les moyens) touche en un point seul celle, métaphysique, de la poésie (le sens).
Toni Casalonga
Source : http://arsindustrialis.org/
Corse Matin, Vendredi 14 octobre 2011
Pilier du patrimoine culturel étroitement lié à l'univers social traditionnel, le chjam'è rispondi n'a jamais disparu, bien qu'il soit demeuré de longues années dans l'ombre. Associant la langue corse, la poésie et le chant pour donner lieu à de véritables joutes entre artistes, elle reste aussi un jeu où il s'agit de se montrer très compétitif.
Les poètes les plus aptes à improviser tout en faisant résonner la rime se défient en public, souvent dans un cadre très festif. Les foires et autres tundereont toujours été des lieux privilégiés. Mais aujourd'hui, le souci de ceux dont le talent fait encore vivre cet art est de se montrer digne de l'héritage de Pampasgiolu.L'Associu Chjam'è rispondi s'affirme, tel un porte-drapeau.
« On a longtemps entendu dire que ces poètes doués pour l'improvisation étaient désormais trop peu nombreux. C'est faux,martèle Ghjuvan Petru Ristori, ils ont toujours été là, mais très dispersés sur notre territoire. On ne se rencontrait que cinq à six fois par ans, mais depuis que l'association existe, nous arrivons à nous regrouper plus souvent, jusqu'à faire au moins une soirée par mois ».
« Ces poètes se sont toujours fait plaisir »
Décembre 2008, la démarche associative prend son envol au cœur des fêtes de fin d'année, elle fédère une trentaine de poètes, tous adeptes du chjam'è rispondi. Ce dernier s'ouvre désormais aux poètes en herbe - le plus jeune adhérent n'a que 16 ans - jusqu'à établir un lien très fort avec le bouillonnement culturel, avec Pigna notamment, puis le centre de musique traditionnelle de Corte, partout dans l'île mais aussi à l'échelle euroméditerranéenne où cet art reste une tradition bien ancrée et préservée.
« Nous avions besoin de cette structure, d'un collectif,considère Paul Parigi qui, il y a une dizaine d'années, lançait un appel, craignant de voir sa passion se diluer dans le flot nourri d'un modernisme qui devient aussi, finalement, l'un des instruments de la reconquête. « Nous touchons aussi le milieu scolaire et tout se fait dans un esprit de grande convivialité, quelle que soit la rencontre ».La part de l'association dans le chemin parcouru depuis trois ans, Pierrot Santucci s'en félicite aussi. « Mais en la créant, nous n'avons pas voulu seulement céder à la mode. Les poètes se sont toujours fait plaisir, de manière plus ou moins isolée, mais ils laissaient peu de chose. Nous avons voulu y remédier en privilégiant l'échange pour nous rapprocher de l'art ».
Les militants associatifs se sont rendus dans d'autres régions du bassin méditerranéen pour élargir ces échanges. « En Calabre, nous avons pris part à un événement où les poètes venaient du monde entier »,raconte Paul Parigi. « Nous avons même rencontré des semi-professionnels qui nous ont demandés combien on prenait pour un chjam'è rispondi »,s'amuse encore Ghjuvan Petru Ristori. « Nous ne sommes sans doute pas les plus légitimes pour défendre cette cause. D'autres le sont sans doute autant que nous,observe Pierrot Santucci. Mais ce qui est certain, c'est que nous sommes des passionnés ».
Grâce à eux, et à leurs nombreux partenaires associatifs et institutionnels, le chjam'è rispondi pourrait bien repartir vers un nouvel âge d'or. Celui qui mettrait à l'honneur d'autres grands talents, dans une pratique culturelle qui révèlent encore et toujours de vraies personnalités.
Noël KRUSLIN
nkruslin@nicematin.com
ETNU 2009 - 2° Festival dell'Etnografia - Nuoro. ETNU poesia/IN.CON.T.R.O.
29/12/2018
La soirée traditionnelle Chjam'è Rispondi aura lieu samedi 29 décembre à partir de 18 heures à l'Auditorium de Pigna. L'entrée est gratuite et toutes et tous sont conviés à participer.
La soirée se prolongera par un repas à la Casa Musicale en compagnie des poètes invités.
L’associu di u Chjama’e rispondi, l’Accademia di Vagabondi et le Centre Voce initient comme chaque année cette manifestation qui verra la participation de la jeune garde des poètes corses, emmenée par Christophe Limongi, dit Tittò, qui lancera la chjama.
02/09/2020
01/01/2022
Par: Marie Stouvenot
Publié le: 31 décembre 2021
Dans: Corse Matin
Presque cinquante ans après les premières rencontres, poètes et spectateurs se sont réunis à Pigna pour faire vivre cet art ancestral. Discussions autour de travaux universitaires, débat sur une société corse en mutation et bien sûr chjami e rispondi. Le tout, porté par les voix de jeunes insulaires
Il est à peine 18 heures lorsque Petru Saveriu Luciani lance les hostilités. Accoudé au comptoir du café de la Casa Musicale à Pigna, le jeune étudiant à l'Université de Corse chante ses premiers vers."Je n'ai jamais vraiment appris, avoue le poète. J'ai toujours entendu de la poésie, j'ai connu des gens qui ne s'exprimaient qu'ainsi, comme mon arrière-grand-père. Pour moi, c'est naturel."
Du haut de ses 23 ans, le jeune homme étonne par la facilité avec laquelle il répond aux paroles de ses adversaires, parfois avec humour, parfois sans, mais toujours avec poésie. "Alors lui, il est jeune mais vraiment excellent", s'étonne un membre de l'assemblée.
Ils sont une trentaine à être venus admirer cet art que l'on suppose tombé dans l'oubli. Parmi eux, Toni Casalonga, "véritable amoureux de la poésie" comme il se définit lui-même : "Pour des raisons de prudence face au virus, beaucoup d'anciens n'ont pas fait le déplacement cette année. Bien que nous ayons tous pris nos précautions, précise-t-il. Mais finalement, ça a permis de laisser la place à la nouvelle génération. Les jeunes ont été mis face à leurs responsabilités. Par la force des choses, de spectateurs ils sont devenus acteurs et ils s'en sont très bien sortis."
La relève est là. Peu nombreuse, mais bien présente. "Personnellement, je pratique plutôt la paghjella mais mon ami Petru Saveriu m'a parlé de cet évènement et j'ai voulu venir tenter l'expérience, glisse Anthony Olhagaray Marcelli, un autre jeune poète. C'est très compliqué, il faut savoir improviser, anticiper, s'exprimer en vers... c'est tout un art."
"Il y a des vocations extraordinaires chez les jeunes"
Ces soirées, organisées depuis plusieurs dizaines d'années par le centre musical Voce avec l'association de Chjami è rispondi, visent à promouvoir et faire vivre cette pratique ancestrale. Pour ça, encore faut-il "conscientiser la culture", selon Toni Casalonga. De fait, avant que débute la rencontre, les organisateurs ont tenu à mettre en place la présentation de travaux universitaires sur la discipline. Deux doctorants, Giovanni Ragni et Anna Catalina Santucci, sont venus présenter l'avancement de leurs thèses, qui portent toutes deux sur les chjami è rispondi. "Un art en mutation" pour Anna Catalina Santucci et une comparaison avec "l'ottava rima" dans le centre de l'Italie pour Giovanni Ragni.
"Il y a quelques différences entre ces deux traditions de joutes verbales, souligne le jeune chercheur. La pratique est marginale dans les deux cas mais l'avantage en Italie, c'est que l'on se prête à l'exercice dans la langue qui est parlée au quotidien."
Justement, Anne Catalina Santucci, elle, voit dans les chjami è rispondi une opportunité d'enseigner la langue autrement.
"À la fin de ma thèse, je fais une proposition qui vise à transmettre cette culture et cela passe notamment par l'apprentissage de cet art dans les écoles. Ce qui pourrait mener à une meilleure maîtrise de la langue corse tout en faisant subsister cette pratique", soutient-elle.
"Il faut continuer le combat"
L'enseigner à l'école pourquoi pas, d'autant que selon Petru Saveriu Luciani, "ça revient dans l'esprit des jeunes".
Le vrai problème, pour le jeune poète, comme pour la majorité des participants, est bien celui de la diminution du nombre de locuteurs corses : "Je suis convaincu qu'il y a des vocations de poètes extraordinaires chez les jeunes, affirme-t-il, mais elles ne peuvent pas être exploitées si on ne maîtrise pas la langue."
En résumé, une soirée réussie pour Marie-Paule Santini, administratrice de Voce, même si le combat est loin d'être terminé : "Les jeunes ne sont pas aussi nombreux que ce que l'on pourrait espérer, mais ceux qui exercent cet art sont vraiment engagés, assure-t-elle. Ils le sont avec leurs tripes et leurs âmes. Cependant, il faut que l'on continue de se battre pour notre culture, notre identité. La société a besoin de poètes, surtout dans le contexte actuel. De notre côté, on ne lâchera pas, on vit pour ça."
Petite victoire supplémentaire pour Marie-Paule Santini, la participation d'une femme, Marie-Jo Amadei. "Elles sont très peu à s'essayer à l'exercice mais souvent, celles qui participent sont excellentes, ajoute-t-elle. Peut-être que d'autres pourront nous rejoindre lors des prochaines éditions."
Les échanges se terminent par les mots de celui qui les a commencés, Petru Saveriu Luciani, qui conclut avec un large sourire : "è viva Pigna !" Et surtout rendez-vous l'année prochaine.
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