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Jean-Jacques Colonna d'Istria

Dernière mise à jour : 10/02/2021

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Editeur Corse

Jean-Jacques Colonna d'Istria

Jean-Jacques Colonna, passionné par la culture en général et la littérature en particulier, attaché à ses racines corses, s'est toujours investi dans le domaine du livre corse.

Nommé secrétaire général de la Maison de la Culture Corse en 1969, à l'âge de 23 ans, il quitte ses fonctions en 1977 pour créer à Ajaccio la librairie La Marge. Pendant plus de vingt ans, La Marge est un haut lieu de la vie culturelle et artistique corse, avec plus de 800 expositions et 100 rencontres organisées. En parallèle, Jean-Jacques Colonna d'Istria reprend l'organisation des Journées du Livre Corse et édite plus de 200 ouvrages.

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Après avoir cédé La Marge en 1999, Jean-Jacques Colonna d'Istria s'intéresse fortement à la création et l'organisation de manifestations culturelles : le Salon du Livre Napoléonien, l'Université Populaire d'Eté ou encore les Journées du Corail sont quelques exemples de manifestations organisées entre 2000 et 2004. Il continue en parallèle son travail d'éditeur.

Depuis 2004, Jean-Jacques Colonna d'Istria partage son temps entre trois activités : il assure la direction et l'administration du Lazaret Ollandini/Musée Marc Petit à Ajaccio, représente les associations populaires au Conseil Economique, Social et Culturel de la Corse, et s'occupe de sa maison d'édition, Colonna Edition.

Jean-Jacques Colonna d'Istria a reçu des mains de Jack Lang l'insigne de Chevalier des Arts et des Lettres.

A lire, l'entretien de Jean-Jacques avec Norbert Paganelli publié sur Invistita.

Colonna Edition sélectionne avec attention les ouvrages présents dans son catalogue, dans un souci constant de qualité : livres corses, romans, arts, poésie corse, essais, etc... Colonna Edition bénéficie de toute l'expertise et du réseau relationnel de son fondateur Jean-Jacques Colonna d'Istria.

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Décembre 2013

La culture corse par Colonna édition

 

Les difficultés de Colonna édition

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Entretien avec un éditeur passionné : Jean-Jacques Colonna d'Istria

Source : Musanostra

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Les lecteurs découvrent en librairie une bien jolie collection au titre étrange , vernacula, au format différent ; vous pouvez expliquer l'idée, le rapport éventuel avec le vernaculaire :

 Le titre de la collection ? Il faut simplement se rappeler l’origine du mot «  vernaculaire », c'est à dire « qui vient du pays, indigène, langue familière, parlée spontanément ( en l’occurrence, écrite spontanément)...propre à un pays ». Voilà, c’est pour le mot. Pour respecter notre objectif, il fallait l’écrire in lingua nostra comme tout le reste. Quant à l’idée, c’était de rendre « repérable », d’identifier immédiatement l’esprit d’une collection qui se voulait l’expression de la langue corse écrite d’aujourd’hui, celle du XXIème siècle, une écriture  qui se démarque, me semble-t-il, de la littérature antérieure, dite du « Riacquistu » ( je n’aime pas le mot), par un style et des thèmes résolument contemporains et surtout pour illustrer l’idée d’une expression plus « littéraire », plus universelle, moins « provinciale » sans vexer personne, moins «  repliée sur elle-même ».
D’où un format original, élégant, des couvertures identiques … avec un centre d’intérêt mis en valeur : une photo suggérée du théâtre de Bastia, pour « Cosi ci sarà.. », une autre photo, plus « artistique » pour « cent’anni »….
L’ensemble « objet livre »  étant attrayant et repérable tout-à la fois. Y sommes-nous arrivés ? La création ( format, aspect général, détails et idée de couverture ) sont de notre maquettiste Jean-Paul Filippini ; la mise au point en langue corse est de Michel Solinas.

Combien de titres à l'heure actuelle ?

Deux  au 1er février 2014  et prévus dans cette collection à l’heure d’aujourd’hui :
-  « Tarrori è fantasia » recueil de nouvelles fantastiques et de sf, en français et en langue corse sous la direction de Marco Biancarelli
-  « In Puesia…de H.P. Lovecraft ».  Paul Miniconi, M. Graziani; F.Antonpietri :  tri lingue : corse/français/anglais.
-  « Risa è pianti »  « Fiore è spine »  « Nozze è dole » etc... Paoli di Tagliu : réédition de l’œuvre poétique complète 
 
C'est une collection à avoir, à faire... sera t- elle réservée à la langue corse ?  

Oui, absolument.
 
A combien estimez vous le nombre de lecteurs de corse ?


Aujourd’hui, il sont très peu nombreux. Ce n’est pas le plus important. Pour moi, le problème n’est pas aujourd’hui. Beaucoup d’acteurs de la langue, des institutions aussi,  s’efforcent de faire grandir leur nombre, et je leur fais confiance. Le livre (sur papier ou virtuel, ce n’est pas le problème) restera le meilleur véhicule pour transmettre, défendre et illustrer une langue. Encore faut-il que le livre transmette les «  bonnes idées », c'est-à-dire ce qui se fait de mieux dans le domaine de la pensée pour décrire et expliquer la vie dans une époque donnée. Lire Balzac aujourd’hui nous apprend plus sur « l’Homme » qu’un mauvais roman publié en 2014, parce qu’il touche tous les hommes de tous les temps et de tous les pays. C’est cette littérature-là qu’il faut transmettre et qui fera que les lecteurs de demain liront le corse. Avec des auteurs comme ceux que nous éditions - ils ne sont pas les seuls, certes ! Nous n’avons pas cette prétention !  - mais reprenez la liste du collectif « Tarrori è fantasia » et vous élargirez déjà la liste… qu’il faut rattacher bien sûr aux Jacques Fusina, Marie-Jean Vinciguerra et autres Stefanu Cesari, par exemple. S’il y a littérature digne de ce nom, il y aura lecteurs.
 
C'est donc toujours une prise de risque, publier ce type de roman ?
 
Bien sûr, c’est une prise de risque, mais c’est surtout un pari sur l’avenir, et ça, c’est quand même bien plus important. C’est une prise de risque parce que les tirages sont faibles et que la vente de deux ou trois cent exemplaires d’un roman en langue corse ne rembourse pas l’investissement en pièces et en billets, mais en revanche, le fait qu’il soit en vente est positif. Un jour, on rééditera cette œuvre-là !  

Aurez-vous d'autres collections à nous présenter ?  

Il y a toujours cette collection de recueils de poèmes à laquelle je tiens beaucoup. Une trentaine déjà édités… des projets pour 2014, mais là encore, il faut aller piano piano… Pas mieux lotie que la langue corse, la poésie n’est pas rentable au sens pécuniaire du mot. Il faut équilibrer, attendre que la trésorerie permette de réinvestir…

Pour 2013, quel est le livre que vous avez publié et dont vous pensez qu'il a encore un bel avenir devant lui ? Qu'il faut le pousser

J’aime tous mes enfants de la même façon, et j’aimerais bien qu’ils s’épanouissent rapidement et dans de bonnes conditions. Sans vouloir privilégier l’un ou l’autre, il y en a quelques uns, sans doute et heureusement, qui auront une vie «  après la vie »….( La présence en librairie d’un livre étant de deux à trois mois = sa durée de vie !  !). Je pense à ce roman de fiction politique de François Dibot «  demain les vieux » ( Mauvais titre (mauvais prénom pour un enfant) …les gens croient que c’est une étude sur la vieillesse !). Alors qu’il s’agit d’ une anticipation romanesque décapante et inquiétante sur l’avenir de la Corse !...Je pense à « La passante des cimes », de Francesca Weber Zucconi qui nous entraine, avec son talent de grande écrivaine, dans les méandres d’une Corse profonde, mystérieuse mais o combien présente encore aujourd’hui…la Corse de toujours qu’elle sauve ainsi de l’oubli ou de la déformation…Je pense enfin à ce récit époustouflant de Michel Vergé Franceschi sur les conséquences de la guerre de 14, en Corse, en racontant la saga de Jean Baldacci, son parent… Magistral document dont on parlera tout au long de cette année, en Corse mais également sur « le Continent », voire sur … les continents… j’y crois !

En 2014, quels seront les points forts ? vous recevez de beaux manuscrits  ?

Les points forts ? Il est trop tôt pour les envisager…Un livre ne peut pas avoir un avenir assuré. Certains, auxquels on croit…ratent leur vie…d’autres surprennent par un engouement inespéré et imprévu des lecteurs…Nous recevons quasiment un manuscrit par jour. Notre programme 2014 est cependant quasiment arrêté… à quelques titres encore imprévus près. J’ai parlé des livres en langue corse, à venir ; j’’ai parlé de la poésie…il y aura d’autres livres, d’Histoire ( sur Napoléon, sur le général Sébastiani » ), des monographies comme celle sur «  Muna »; Un recueil de dessins humoristiques - de presse » ; des textes sur Paul Valéry, sur Romain Gary… des ouvrages collectifs faisant suite à « Une enfance Corse » et à «  Mémoire(s) de Corse… sur «  la corse comme une utopie » ….Ce qui veut dire que la plupart des manuscrits que nous recevons depuis quelques mois seront lus dans le courant de l’année 2014, pour une éventuelle édition ( je dis bien éventuelle ) en 2015. Sauf ouvrage à éditer sur le champ…ça peut arriver aussi…ce seront les «  surprises » de l’année…

Vous avez publié de grands ouvrages, qui resteront...je pense à Cesari/Badia,et  à d'autres

Merci de citer cet ouvrage auquel je tiens particulièrement et vers lequel des institutions ou les lecteurs ont réuni leurs votes pour lui attribuer le « Prix du livre Corse » d’abord,  (Créé il y aura trente ans cette année 2014, par le libraire Jean-Patrice Marzocchi, quelques amis professeurs, journalistes et grands lecteurs, et moi-même … et j’en suis fier !), puis le Prix Littéraire du Département de la Haute Corse, le Prix José Morellini (lequel fut également mon ami). Je l’ai écrit plus haut, pour moi, Stefanu est l’un des écrivains de langue corse parmi les plus prometteurs( Ce qu’il a déjà publié le «  classe » déjà dans la catégorie des meilleurs, mais y ira beaucoup plus loin et fera rayonner notre langue.). Je pense aussi à « l’Histoire de la peinture en Corse » suivi d’un «Dictionnaire des peintres » de l’ami Pierre-Claude Giansily, lequel nous prépare une « Histoire de la sculpture en Corse », suivi d’un « Dictionnaire des sculpteurs »…. Pour la fin du printemps…
 
Musanostra vous semble t-elle suffisamment solidaire du travail d'écriture et d'édition fait en Corse ?
Notre association aide t-elle la littérature ?


C’est indubitable. Deux remarques cependant…. Il faudrait créer la même « structure » à Ajaccio, dans le sartenais, en Balagne…enfin dans toutes les régions de Corse ( ça ce n’est pas votre vocation, sans doute ?) ; la seconde remarque est peut-être plus liée à votre activité… la communication pourrait être élargie en effet à la presse écrite parlée et télévisée ( pour les gens comme  moi qui ne consultent  pas les réseaux sociaux ), à directement à plus de particuliers aussi…  

Nous sommes assez souvent prescripteurs de livres publiés en Corse puisqu'ils sont présentés parmi d'autres du monde entier, il suffit de lire les messages reçus, postés de près ou de loin pour s'en convaincre ; cette formule vous semble t-elle pertinente ? Sinon, que faudrait il y changer ?

Rien !

Enfin, êtes vous confiant quant à l'avenir de la littérature corse ? les effets de  l'ascension de Jérôme Ferrari sont ils sensibles, bénéfiques ou moins pour auteurs et éditeurs ?

Je suis à la fois confiant et inquiet. Confiant, parce que si je ne l’étais pas, je passerais une retraite bien méritée comme on dit. Je suis confiant parce que les publications en Corse reflètent la montée permanente en qualité de ceux qui remplissent ces livres : ceux qui pensent, ceux qui écrivent, rédigent, illustrent peignent, dessinent, « maquettent » etc…
Le « phénomène »  Jérôme Ferrari est réconfortant aussi : tout est devenu possible ! (Nous avons aussi deux membres de l’Académie française, un troisième à sa porte ( Jean-Noël Pancrazi)). Ce « Prix Goncourt » le montre et tous en tirent un bénéfice : la littérature «corse » n’est plus une littérature de province et ce qui est plus important c’est que cette bonne nouvelle n’est pas l’arbre qui cacherait la forêt…
Nous avons d’autres écrivains de la qualité de Jérôme. Un jour c’est un éditeur de Corse qui sera peut-être « reconnu », comme demain un autre écrivain d’ici le sera peut-être à nouveau… C’est plus que les éditeurs, les auteurs et les lecteurs qui « en profitent » et en profiteraient, mais bien la Corse en tant que terre d’êtres humains qui font honneur à l’être humain.  

Jean-Jacques Colonna d'Istria et la poésie

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Juillet 2018

Communiqué de Jean-Jacques Colonna d’Istria :

Je quitte « Colonna édition ». Suite aux problèmes financiers que connaissait « Colonna édition », de nouveaux associés sont entrés dans le capital de la SARL avec mon assentiment, et un nouveau gérant a été nommé en la personne de Jean-Paul Filippini. Ce dont je me suis félicité. Les efforts des nouveaux gestionnaires pour « redresser la situation » sont incontestables et louables. Cependant, les responsables de la nouvelle équipe dirigeante ont fait le choix d’une formule d’édition qui relève de ce que l’on appelle couramment le « compte d’auteur ». Etant fermement opposé à ce choix, il me sera impossible d’avoir la responsabilité des nouveaux titres à paraître sous le label « Colonna édition ». En désaccord avec les gestionnaires, ne pouvant plus en toute liberté exercer mon métier dans ces conditions, du moins au sein de cette structure, je quitte aujourd’hui jeudi 5 juillet 2018 « Colonna édition » en tant qu’éditeur. Je reste actionnaire de la SARL mais aussi et surtout, soucieux de la vie des 75 titres édités à ce jour, je continuerai à les promouvoir (signatures ; journées du livre, manifestations diverses, rencontres) dans la mesure des moyens qui me seront attribués.
La maison d’édition continue donc heureusement à fonctionner. Les auteurs déjà édités, comme les futurs auteurs en quête d’édition peuvent s’adresser au gérant pour toutes questions relevant de la gestion. Quant à moi, je ne serai pas responsable des prochains livres à paraître sous le label « Colonna édition », à dater de ce jour, bien qu’en ayant été son fondateur, puis son seul éditeur durant 13 années d’affilée.
D’autres aventures m’attendent peut-être, si ma santé le permet.

Jean-Jacques Colonna d’Istria, ce 5 juillet 2018

Décembre 2018

Après « La Marge édition » (plus de 500 titres), après, mais encore et toujours avec « Colonna édition » (près de 200 titres), voici aujourd’hui « les éditions du Scudo » et ses premiers titres.
Quel chemin parcouru ! La route que nous avons choisi de parcourir depuis 40 ans se veut respecter d’abord une éthique professionnelle, malgré les vicissitudes et les aléas que l’aspect « commercial » remet souvent en cause parce que le comptable s’oppose souvent au poète.
Oui il a fallu avancer, lentement, composer, déposer le bilan, repartir, arrêter à nouveau, recréer, repartir à zéro, recommencer encore... et poser ainsi pierre après pierre, livre après livre, pour arriver à affermir les bases d’un édifice encore inachevé à ce jour. Un édifice qui contribuera à mieux connaitre notre île, son histoire, la vie de ses habitants depuis l’érection des dolmens jusqu’à ce jour.
Pour mieux connaître et comprendre, aussi bien ses envahisseurs que ses visiteurs toujours émerveillés, pour mieux nous connaitre nous-mêmes aussi, chaque titre étant en définitive une des pierres qui, ajoutées les unes aux autres, ajoutées aussi à celles posées par d’autres éditeurs professionnels, constitueront, bien assemblées, un édifice authentique, un Temple de la connaissance de notre île, mais aussi de ses habitants et donc de nous-mêmes. Que vivent les éditions du Scudo !

10/02/2021

L’Hebdo d’In Corsica
N° 21 - 5 février 2021

INTERVISTA - CULTURE
JEAN-JACQUES COLONNA D’ISTRIA

« La littérature d’aujourd’hui a enfin élargi son élite aux écrivains du monde. »

Le fondateur de librairie La Marge à Ajaccio et de La Marge Éditions, pionnier dans les années 70 de l’édition en Corse, agitateur culturel, dirige aujourd’hui Les éditions du Scudo, dont la collection Poésie constitue un acte véritable - et non moins louable - de Résistance. Il a fait sienne la cyberculture, à quelque pataquès près tel l’acte de censure appliqué à son dernier recueil de poésie. Mais se désole, à considérer la vie littéraire, de l’absolutisme du « cercle germanopratin ».
Photos Antoine Giacomoni.

Comment s’en sortent les petits éditeurs comme vous ?

En ces temps de pandémie, et malgré les événements qui nous mutilent, l’édition me semble être en excellente santé. Pour preuves les parutions quasi journalières dont la presse régionale se fait l’écho chaque matin. Hier Le temps de l’ironie d’Alexandra Profizi ; avant-hier Gens de Bastia de Noël Casale ; il y a deux ou trois jours A l’alba di u cantu, de Ghjilormu Padovani, la semaine dernière A birba di i mesi de Ghjacumina Geronimi et Antea Perquis-Ferrandi... Dans cette course à l’édition, le lecteur trouvera le meilleur comme le pire. En l’occurrence j’ai cité le meilleur, bien sûr.
Plus il paraitra de livres, plus il y aura de lecteurs. Plus il y a de librairies ou de cinémas dans une ville, plus on y lit et plus on va au cinéma. C’est une loi humaine. Une loi qui se vérifie dans tous les domaines, celui de la consommation comme les autres. C’est un phénomène constant, voire pérenne. Ce qui change en 2021 c’est que le futur Balzac ou la Françoise Sagan du jour puissent se passer du traditionnel et mythique éditeur. Les moyens techniques ayant transformé le paysage de la fabrication d’un livre, éditer est à la portée de
tout un chacun. A la portée technique mais aussi à la portée de son porte-monnaie. Il est possible aujourd’hui d’éditer ses rêves pour quelques euros par exemplaire. Alors pourquoi s’en priver ?
« Ce sont deux ou trois mille romans qui paraitront, mais la presse parisienne ne s’intéressera qu’à ceux produits dans le cercle germanopratin. Aucune chance n’est laissée à un roman paru en Bretagne, en Alsace ou en Corse à plus forte raison... »

Et la littérature ? Est-elle en bonne santé ?

Jusque-là, j’ai parlé de livres, pas de littérature... Si elle profite de cette révolution technologique, comme les autres genres (BD ; beaux livres ; essais ; livres techniques), la littérature rencontre un autre problème qui est celui de la diffusion et de la distribution du livre, en France en particulier. Car il n’est pas tout que d’éditer son oeuvre, encore faut-il la faire connaitre, la distribuer, la diffuser auprès d’un maximum de lecteurs potentiels. Le livre est là. Il vient d’arriver... qu’en faire ? C’est là que l’éditeur reste une pièce incontournable dans la chaine du livre. Comme les librairies, justement, comme les grandes surfaces (FNAC ou Espaces culturels : Leclerc et autres enseignes), autres maillons de cette
longue chaine. Leur mission sera donc de « mettre en place » l’objet chéri, attendu comme un nouveau-né par son géniteur. C’est un chainon indispensable, c’est aussi un métier incontournable pour soutenir et aider le Baudelaire en herbe, pour que son « enfant » grandisse et s’épanouisse harmonieusement.
Le diffuser, mais aussi le promouvoir maintenant qu’il vit. La presse va jouer ce rôle indispensable. Sans l’aide de l’éditeur, dont c’est l’une des nombreuses fonctions, la promotion risque de rester locale, voire régionale pour le jeune auteur. Dans un territoire comme la Corse, la presse joue son rôle mais restera limitée aux contours de l’île. Le problème aujourd’hui est que « l’information » nationale vient de Paris et seulement de Paris.
Comment les choses se déroulent-elles ? Les grands éditeurs regroupés dans la capitale entretiennent tout naturellement des relations privilégiées avec les médias parisiens. Ils échangent et se rendent de mutuels services. L’édition régionale n’ayant pas accès à cette Olympie, elle est ignorée par les médias dits « nationaux ». Quand on nous annonce la parution de 456 romans pour la prochaine rentrée littéraire il faut entendre que les 20 grandes maisons parisiennes ont prévu d’éditer 456 romans. En réalité ce sont deux ou trois mille romans qui paraitront, mais la presse parisienne ne s’intéressera qu’à ceux produits dans le cercle germanopratin. Aucune chance n’est laissée à un roman paru en Bretagne,
en Alsace ou en Corse à plus forte raison...
Malgré cette faille, il faut bien reconnaitre que la littérature d’aujourd’hui a enfin élargi son élite aux écrivains du monde, d’Afrique du nord comme du centre en particulier, avec les merveilleuses pépites littéraires découvertes que sont les oeuvres de Leila Slimani, Leïla Sebbar, Yasmina Reza, Lucie Taïeb, Faïza Guène, Kaouther Adimi, Olivia El Kaïm, Lamia Berrada- Berca, ou encore Alain Mabanckou. Mais si, avec eux et avec elles, la littérature est en bonne santé, les petits éditeurs sont de plus en plus exclus pour les raisons évoquées précédemment, et doivent donc faire avec, c’est-à-dire trouver des niches, des failles dans le système de distribution et de promotion du livre en France. L’une de ces opportunités, qu’un petit éditeur comme les éditions du Scudo, installé en Corse, tente de saisir, est bien sûr l’utilisation d’Internet et du numérique. Création d’un site, indispensable certes, mais aussi adhésion obligatoire aux plates-formes comme Amazon, FNAC.com, Decitre, Mollat, etc.
Ce qui permet à n’importe qui, n’importe où, particulier ou professionnel (librairie, FNAC et autres grandes surfaces) de commander directement à l’éditeur avec toute la sécurité requise. Et ça marche plutôt bien surtout en cette période où, malheureusement, les points de vente traditionnels sont mis à mal.

Vous nous alertez sur un incident qu’il ne s’agirait pas de minorer : Facebook a censuré lacouverture d’un recueil de poèmes mis en ligne au prétexte qu’elle promouvait la vente d’alcool.
Objet du litige, le mot « absinthe ». C’est ridicule. C’est surtout le retour de la censure. Jadis on interdisait ou censurait au nom de la morale religieuse. Aujourd’hui, notamment par l’entremise des féministes et des antiracistes, ce fut le cas avec Hergé (Tintin au Congo), Agatha Christie (10 petits nègres) ou encore Margaret Mitchell (Autant en emporte le vent), on censure au nom du progrès.

Internet ! Le mot magique a été prononcé. Internet, avec ses failles, là encore, bien sûr. Une faille dans laquelle je viens justement de tomber en communiquant sur les réseaux sociaux, Facebook en l’occurrence.
Voici la mésaventure : comme à chacune de mes parutions et pour les faire connaitre, je nourris mon compte Facebook par la publication de la couverture du livre et de la quatrième de couv qui ferme le livre. Il s’agit cette fois-ci d’un recueil de l’excellent poète Marc Giudicelli : Le silence des pages, un recueil agrémenté d’une non moins excellente préface de Gérard Acquaviva, dans laquelle on peut lire «... son arme (à Marc Giudicelli, ndlr), son verre, c’est sa plume, son champ de bataille, son zinc c’est la feuille blanche, et ses balles, son absinthe ; sa fée verte, ce sont ses mots ». Facebook a rejeté, et donc retiré, cet article pour « infraction aux règles ».
La raison de cette censure : « Les petites annonces - je cite mot à mot - ne doivent pas promouvoir l’achat ou la vente d’alcool ». Le mot « absinthe »...
Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui avec la nouvelle censure. Je laisse juge le lecteur de l’incongruité et de la bêtise de cette mesure qui reste très inquiétante malgré le sourire que l’on peut arborer à sa lecture. Faut-il rapprocher cette mesure, issue de la cyberculture, de la « cancel culture » dominante, dominatrice et envahissante, qui prend hélas, le pas aujourd’hui sur la raison et le bon sens ? Modifier le titre d’une oeuvre (Les dix petitsnègres en Ils étaient dix) ou amputer un film des scènes déclarées aujourd’hui comme racistes dans Autant en emporte le vent, débaptiser une rue sous prétexte que son nom même peut renvoyer à une éventuelle ou putative mauvaise action ou intention de son inspirateur, ces « gestes » de la société à laquelle certains tentent d’aspirer relèvent pour moi d’une erreur de jugement et d’un excès caractérisé pour ne pas dire d’une bêtise incommensurable et dangereuse. Pire, d’une « moralinisation » de la société. A quand « La Grand-Rue » pour remplacer le cours Napoléon dont le nom même pourrait renvoyer à de mauvaises actions (guerre) ou le « Boulevard des touristes » pour le boulevard du Roi Jérôme, la « Place des autobus » pour la place Abbatucci (encore un guerrier ?) et ainsi de suite...
Vive les cancel et cyber cultures qui veulent nous rééduquer à tout prix !

Jean-Jacques Colonna d'Istria : "Un nouveau livre est comme un enfant qui vient de naître" 

Propos recueillis par Laure Filippi le: 18 mars 2021

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"À plus d'un titre, le livre est véritablement un objet de première nécessité. Il a le pouvoir réel de sauver la vie des gens", assure l'éditeur, qui vit et travaille à San Benedetto, sur la commune d'Alata.

À la tête de Scudo édition, acteur du paysage culturel insulaire depuis plus de quarante ans, l'éditeur raconte l'attachement indéfectible à son métier, mais également les difficultés liées aux enjeux commerciaux et à la crise du Covid

Vous avez fondé Scudo édition il n'y a pas si longtemps, en 2018. Une nouvelle étape dans votre parcours d'éditeur, débuté il y a plus de quarante ans avec La Marge édition ?

De toute évidence, oui, tout comme chaque livre édité est à lui seul une nouvelle aventure ! La création de ma première maison d'édition, La Marge édition, est allée de pair avec l'ouverture, le 15 juin 1977, de la librairie du même nom, à Ajaccio, qui existe toujours d'ailleurs.

À cette époque, il y avait encore très peu de livres consacrés à la Corse, et il m'a paru essentiel de faire en sorte de combler ces lacunes en favorisant la parution d'ouvrages étoffant cette connaissance de l'île, dans des domaines très variés.

En tant qu'éditeur, mon rôle consistait alors beaucoup à inciter, à susciter la rédaction de travaux, notamment dans le champ historique. Il y avait une forte émulation scientifique et culturelle. Plus de cinq cents titres ont été édités par La Marge, dont l'histoire a pris fin au début des années 2000.

Avec Colonna édition, j'ai par la suite édité près de deux cents livres, avant de fonder Scudo édition, en 2018. La route a été longue, avec ses aléas. J'ai parfois eu des moments de découragement, avec l'envie de tout arrêter, mais le livre reste une véritable passion qui me porte à continuer à éditer.

Vous dites, pour évoquer ces "aléas", que le comptable s'oppose souvent au poète... La recherche de rentabilité est-elle incompatible avec votre conception du métier ?

Comme je le disais, durant ces quarante dernières années, j'ai toujours été avant tout guidé par ma passion pour les livres. L'aspect économique et commercial ne peut évidemment pas être occulté, mais cela n'a jamais été le critère déterminant dans mes choix d'éditeur, ce qui peut rendre l'exercice difficile. À moins d'avoir la chance de sortir un best-seller qui dope les ventes, l'équilibre financier est délicat.

En ce qui me concerne, et cela n'a jamais varié, les recettes sont toujours remises en circulation pour éditer le prochain livre. Je tâche aussi, lorsque cela est possible, de développer des partenariats institutionnels ou associatifs pour soutenir certains projets.

Je fais par ailleurs ponctuellement appel à des personnes compétentes pour m'épauler techniquement, notamment pour le graphisme, c'est indispensable. Mais la majeure partie du travail m'incombe, de la lecture des manuscrits jusqu'à la gestion des stocks.

Vous recevez d'ailleurs au moins trois ou quatre manuscrits par semaine. Quels sont précisément vos critères de sélection ?

Mes critères demeurent en premier lieu la qualité, ainsi que l'intérêt de la publication pour le public. J'ai toujours comme préoccupation de voir ce que l'ouvrage pourra apporter de plus, d'inédit, à la connaissance de la Corse.

Je n'ai jamais voulu me spécialiser dans un domaine en particulier et suis ouvert à tous les genres, de l'essai à la fiction, avec néanmoins une prédilection marquée pour la poésie, qui est à mes yeux le summum de la pensée.

Avec la Corse pour fil conducteur. Mais à présent que la bibliographie de l'île est devenue très riche, qu'il y a beaucoup moins de lacunes à combler que lorsque j'ai commencé, ma manière d'appréhender le métier a évolué. Avant, je jouais davantage un rôle moteur auprès des auteurs.

Désormais, les plateaux de la balance se sont inversés au sens où je suis plus dans la position de recevoir les propositions. Et je constate avec grand plaisir que les écrits sont nombreux, très diversifiés et même davantage qualitatifs que par le passé. Le traitement de la Corse et les thèmes se modernisent également, par exemple à travers des sujets d'actualité plus fréquemment abordés.

L'édition insulaire accompagne-t-elle bien cette dynamique ?

Le réseau est plutôt dense, avec plus de soixante éditeurs en Corse. Il est aussi intéressant de constater qu'il y a une forme de complémentarité en termes d'offre.

Outre les éditeurs les plus importants, dont Albiana, Alain Piazzola Éditions, les éditions Clémentine ou encore Materia scritta, entre autres, de nombreux "petits" éditeurs peuvent aujourd'hui faire des propositions, permises par les évolutions techniques récentes, qui rendent la fabrication d'un livre plus simple et plus accessible.

J.-J. Colonna d'Istria. - Florent Selvini

Vous-même, une fois l'ouvrage sélectionné et corrigé, quel processus devez-vous suivre jusqu'à sa distribution ?

Les ouvrages sont généralement imprimés à 500 exemplaires, nécessaires à la "mise en place", c'est-à-dire aux premières distributions (sponsors, presse, etc.) et à la mise en dépôt dans une quinzaine de points de vente, majoritairement en Corse.

Grâce, là encore, à la révolution numérique, il est beaucoup plus simple qu'auparavant de faire réimprimer de petites quantités en cas de réassort. Au-delà du numérique, il faut aussi préparer et envoyer les commandes par voie postale.

Vous parliez de votre passion pour ce métier d'éditeur. En quoi le livre est-il important selon vous ?

Un livre est profondément utile à mes yeux, dans la mesure où il apporte quelque chose à la connaissance d'un sujet, d'un pays. Le livre a aussi le pouvoir réel de sauver la vie des gens.

Il me vient en tête l'exemple du rappeur Abd al Malik, qui était au départ délinquant, et dont la vie a été totalement transformée par la découverte de l'œuvre d'Albert Camus.

Pour moi, à plus d'un titre, le livre est véritablement un objet de première nécessité.

Comment vivez-vous justement les restrictions imposées par les mesures sanitaires ? Êtes-vous choqué que la culture ne soit pas considérée comme "essentielle" par le gouvernement ?

Bien sûr, j'en suis extrêmement choqué, mais aussi inquiet pour la suite. Je ne suis pas compétent pour juger de l'aspect sanitaire, mais j'éprouve à la fois un sentiment d'incompréhension et d'injustice en observant que ce qui devrait être considéré comme essentiel devient le superflu, alors que d'autres secteurs liés à la consommation ne subissent pas le même traitement.

La culture est bâillonnée, mais est-ce vraiment un hasard ? Il faut être vigilant par rapport aux atteintes à la démocratie et au processus dictatorial que peut induire le fait de considérer l'art et les artistes comme un danger.

Actuellement, l'on ne le réalise peut-être pas encore très bien, mais je pense que les conséquences seront terribles à l'avenir.

Le monde de la culture doit-il entrer en "résistance" ?

Il faut résister, oui, mais il n'est pas forcément évident de savoir comment. Je soutiens totalement les initiatives prises par des artistes qui improvisent des spectacles de rue. C'est un exemple, mais cela ne compense pas la fermeture des salles et les difficultés que rencontrent les créateurs.

À mon niveau, j'estime résister en faisant ce que je peux faire, c'est-à-dire en continuant à éditer des livres, même sans la garantie de pouvoir les vendre.

J.-J. Colonna d'Istria. - Florent Selvini

Quelles sont les répercussions de la crise sur l'exercice de votre activité ?

Il y a évidemment beaucoup de conséquences négatives, même si je ne suis pas le plus à plaindre dans cette crise. Durant le confinement, j'ai eu plus de temps pour lire, et notamment m'intéresser davantage au genre du roman. Mais je dirais que le positif s'arrête là.

La situation est catastrophique pour le monde culturel en général. Lorsque les librairies sont contraintes de fermer, l'édition souffre également. Durant le confinement, j'ai en revanche triplé voire quadruplé mes ventes par correspondance, notamment par le biais des grands sites de vente en ligne comme Amazon ou la Fnac.

Cela a en quelque sorte compensé les ventes "physiques", mais c'est regrettable pour les librairies. D'autant que plusieurs enseignes ont déjà disparu en Corse. Certes, les habitudes de consommation évoluent, mais rien ne remplace une librairie.

Avec Scudo édition, vous avez déjà publié une vingtaine d'ouvrages, sans compter les centaines d'autres par le passé. Y a-t-il un livre dont vous êtes particulièrement fier ?

Honnêtement, non, je ne pourrais pas en citer un en particulier. Je les aime tous ! Je le disais, un livre est à chaque fois une nouvelle aventure.

Au-delà du risque financier et de tous les aspects techniques, il y a un lien souvent très fort et de confiance qui se noue avec les auteurs. Chaque histoire est différente, singulière, il n'y a pas de lassitude.

Avant d'ouvrir les cartons qui sortent de l'impression et de feuilleter les pages, je respecte d'ailleurs toujours un même cérémonial. Je tiens à ne pas être seul pour partager ce moment qui suscite toujours en moi une émotion intacte.

On pourrait comparer cela à une naissance. Un nouveau livre qui arrive est comme un enfant qui vient de naître.

"Les outils numériques ne supplanteront pas le papier"

Pensez-vous que le numérique menace, à terme, la survie du livre "papier" ?

Le numérique offre de nouveaux outils, mais je ne m'inquiète pas pour la survie du livre, qui est toujours bel et bien vivant, fort heureusement !

Les liseuses ou les tablettes peuvent avoir leur utilité à certains moments, par exemple lorsque l'on est en voyage, mais je reste persuadé qu'elles ne supplanteront pas le papier. Le livre est aussi un objet que l'on a plaisir à toucher, à regarder, à manipuler. Tout ne peut pas être virtuel.

Considérez-vous la publication d'ouvrages en langue corse comme un acte militant ?

Absolument. J'ai toujours porté une attention particulière à promouvoir la langue corse, qui est une dimension importante de notre culture, à travers la publication d'ouvrages bilingues. Je dois dire, à cet égard, que l'aide à l'édition réalisée par la Collectivité territoriale de Corse est solide et sérieuse.

Elle a par exemple rendu possible la parution récente de trois nouveaux ouvrages bilingues de grande qualité, parmi lesquels le Dizziunariu temàticu toma 1 d'Antoine Marielli et Pruverbii, ghjusti e santi de Lisandru Bassani.

Le troisième de ces livres étant In sottu voce, qui est la traduction en corse, par Sonia Moretti, du recueil de poèmes du grand Charles Juliet, À voix basse, dont la lecture est aussi accessible grâce à un QR code.

Malgré la crise, l'année 2021 sera encore riche en projets et nouvelles parutions…

Tout à fait. Je peux notamment annoncer Le silence des pages, le nouveau recueil de poésies de Marc Giudicelli, ainsi que le livre 21 femmes qui font la Corse, par Jean-Pierre Castellani et Dominique Pietri, qui retrace les parcours de personnalités remarquables dans des domaines très variés.

Le premier numéro de la nouvelle revue semestrielle I Vagabondi sortira aussi très bientôt. Il s'agit d'un projet né dans le cadre de la préparation du festival Romain Gary, auquel je consacre également beaucoup de temps et qui réunira une centaine d'auteurs.

Cet événement a déjà été reporté à cause de la crise mais devrait avoir lieu les 10, 11 et 12 septembre à Sarrola-Carcopino. Toujours dans le cadre du festival, un prix littéraire a été créé et vient d'ailleurs d'être attribué à Tina Bartoli, pour son roman Acquaviva, qui paraîtra au mois de mai prochain.

 

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