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Filitosa
Dernière mise à jour : 13/03/2018

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Ces statues-menhirs, découvertes enfouies sous le maquis de Filitosa, se dressent sur une butte à l’ombre d’oliviers centenaires. / © Antonin Borgeaud

Les mystères de Corse : Filitosa, une énigme minérale figée dans le granite

France - Hugues Derouard / GEO - Mercredi 7 mars 2018

Un vallon verdoyant, planté d’oliviers et de chênes, où paissent les vaches, au bord du ruisseau de Sardelle. Douceur champêtre en Corse. Quiconque pénètre ici ne peut qu’être troublé par la sérénité des lieux. Et puis, soudain, au détour du sentier, une apparition étrange : treize statues de granite aux formes humaines… Il y a d’abord, semblant monter la garde, l’imposante «Filitosa V», massive, carrée, à la colonne vertébrale bien dessinée, portant sans équivoque une épée et un poignard. 

Puis, au sommet d'une butte, une série de sept monolithes alignés telle une armée, dont «Filitosa VI», l’air sévère, coiffé d’un casque hémisphérique, et «Filitosa IX», au visage sculpté, d’un réalisme troublant. Plus loin, en contrebas, disposées en arc de cercle, cinq statues raides comme des lances, terriblement expressives.

Nous sommes ici sur le site de Filitosa, chez Charles-Antoine Cesari, 32 ans, en Corse-du-Sud. Au printemps 1946, son grand-père et homonyme Charles-Antoine Cesari, agriculteur, découvrit sur son terrain de la basse vallée du Taravo des vestiges d’occupation préhistorique et, surtout, d’énigmatiques pierres couchées, aux formes humaines, face contre terre, enfouies dans le maquis. Son ouvrier proposa illico de les relever pour les utiliser comme poteaux pour les clôtures. «Je n’ai jamais mis de chaîne au cou d’un homme, je ne vais pas commencer à le faire avec un homme de pierre», aurait rétorqué, selon la légende familiale, Charles-Antoine Cesari. D’un tempérament obstiné, le Corse, persuadé d’avoir fait une grande trouvaille, n’eut dès lors qu’une obsession : mettre au jour son «trésor» et, surtout, le protéger contre les bergers qui espéraient trouver de l’or dans ces guerriers de pierre.

Mais Charles-Antoine Cesari avait-il vraiment «redécouvert» ces pierres ? En réalité, «nombre des menhirs de Corse étaient déjà connus des habitants, et leur emplacement avait souvent gardé une dimension sacrée et mystérieuse», signale Franck Leandri, le conservateur régional de l’archéologie à la Direction régionale des affaires culturelles. Les bergers corses les appellent des stantari, des «pétrifiés». «La tradition disait qu’il s’agissait de personnes punies pour avoir transgressé le code moral de la société :une bonne soeur aux moeurs particulières, par exemple, poursuit l’expert. Parfois, déterrés par hasard, ils avaient été volontairement réenfouis, par crainte ou par respect.» Quoiqu’il en soit, c’est avec les fouilles de Filitosa que débuta l’exploration de la préhistoire corse et la mise au jour de merveilles, comme le site mégalithique de Cauria, dans la région de Sartène, ou les alignements de menhirs d’Apazzu dans la vallée de l’Avena… 

Il fallut toutefois attendre la nomination, en 1954, sur l’île, de Roger Grosjean, chercheur au CNRS, pour que Filitosa soit étudié en profondeur. Durant vingt ans, l’archéologue découvrit des vestiges d’abris, des céramiques, des menhirs… Puis il conclut que ce lieu fut occupé du VIe millénaire avant notre ère jusqu’à l’époque romaine. Quant au rôle des fameuses statues-menhirs, qu’il put dater de l’âge du bronze (vers 1200 avant notre ère), sommet de l’art mégalithique méditerranéen, mystère… Que pouvaient signifier ces pierres anthropomorphes, dont on sait désormais qu’elles étaient à l’origine peintes à l’ocre rouge ? Par qui furent-elles vandalisées ? D’aspect phallique vues de dos ou de profil, étaient-elles censées fertiliser la terre ? Ou sont-elles des représentations de paladini, ces chevaliers, qui, dans la tradition orale, protégeaient le peuple des pillards ? 

Roger Grosjean avança, le premier, une hypothèse romanesque : ces statues représenteraient les Shardanes, «peuples de la mer», dont on retrouva des traces jusqu’en Egypte et qui conquirent, un temps, la Corse. «Une façon de figer dans la pierre la force de ces ennemis pour qu’elle ne puisse plus se manifester, un peu comme avec une poupée vaudoue, raconte Charles-Antoine Cesari, petit-fils du découvreur de Filitosa. Et la rage des Shardanes lorsqu’ils s’emparèrent du site fut telle qu’ils détruisirent ces menhirs façonnés à leur image.»

A moins que ces représentations païennes n’aient été vandalisées lors de la christianisation, comme le suggère aujourd’hui Franck Leandri. Charles-Antoine Cesari, qui a appris à marcher au pied des statues, les regarde pour sa part avec ses yeux d’enfant. «Je les vois comme des protectrices, des gardiennes, dit-il. C’est ici un monastère à ciel ouvert, un sanctuaire hors du temps, où se ressourcer.» Son père, Daniel Cesari, explique aller au coucher du soleil se promener sous les oliviers millénaires, quand les jeux d’ombre et de lumière font s’animer les menhirs. Et plus encore les nuits de pleine lune, «lorsque les statues, illuminées, vous fixent droit dans les yeux». 

Le lieu dégage une énergie positive phénoménale, assure l’homme, sans qu’on sache s’il fait la promotion du site ou s’il y croit dur comme fer : « Si vous êtes au plus bas, vous approchez, et vous repartez requinqué», promet-il. Plus de deux mille ans après leur abandon, les fantômes de pierre revivent. Les propriétaires de Filitosa livrent quantité d’anecdotes. «Une femme est ressortie le visage ruisselant de larmes… de joie : son mal de dos qui la faisait souffrir depuis des années avait subitement pris fin», affirme Daniel. Il marque un silence : « D’autres, qui viennent avec un pendule, sont bouleversés, car ils sentent qu’il s’est passé des choses terribles ici, que le sang a coulé.» Nombre de visiteurs, sur le site, baissent naturellement la voix, caressent le dos des menhirs ou les enlacent…

La plus grande des énigmes corses sera-t-elle un jour résolue ? «L’étude du graphisme des statues, de l’environnement, de la végétation et des tempêtes de la vallée du Taravo permettront d’en savoir plus sur la chronologie et l’occupation du site», assure Franck Leandri. La famille Cesari se dit prête à laisser les experts mener de nouvelles fouilles. Mais la magie de Filitosa ne tient-elle pas justement à son mystère ? 

Source: GEO


 

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