John Coltrane

Dernière mise à jour : 19/07/2023

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Je n'avais pas encore osé affronter ce "monument" du jazz qu'est John Coltrane. Mais je me devais de réparer cette lacune... Disons-le d'emblée, John Coltrane est avec Charlie Parker l'un des musiciens les plus importants du XXe siècle.

John Coltrane (surnommé « Trane ») est né à Hamlet en Caroline du Nord le 23 septembre 1926 et mort à Long Island (New York), le 17 juillet 1967.

ll fait sa première apparition sur la scène du jazz, à l'alto, en 1945 dans le grand ensemble de Jimmy Johnson. Au début de 1947, Coltrane joue quelque temps de l'alto avec l'ensemble de King Kolax, puis il se joint au groupe d'Eddie « Cleanhead » Vinson au ténor. Il se remet un temps à l'alto dans l'ensemble de Jimmy Heath puis au sein du grand ensemble de Dizzy Gillespie En mai 1950, Gillespie dissout son grand ensemble et forme un groupe réduit, avec Coltrane, qui joue de l'alto mais aussi du ténor. En 1953, Coltrane se joint à l'ensemble de sa première idole, l'altiste ellingtonien Johnny Hodges. Suite à ce qu'on appelle pudiquement "des problèmes personnels", Coltrane quitte le groupe puis en octobre 1955 est embauché par Miles Davis, qui s'apprêtait à former un nouveau quintette. Ce premier quintette "classique", dont l'existence fut brève, produisit des enregistrements mémorables, comme 'Round About Midnight, avant d'être dissous au mois d'avril suivant.

C'est le début de la véritable carrière discographique de Coltrane qui s'étend de 1955 à 1967.
Coltrane suit une cure de désintoxication et rencontre la religion. Il signe un contrat avec Prestige Records. En juillet, il travaille avec Thelonious Monk au Five Spot Cafe de New York. C'est à la suite de cette collaboration avec le génie musical qu'était Monk que Coltrane se mit à développer son style de jeu dense caractéristique, faisant déferler à toute allure sur ses auditeurs des torrents de notes entrelacées et convoluées ; un style que le célèbre critique de jazz Ira Gitler appelle, avec justesse, « nappes de sons » (sheets of sounds, en anglais).

En décembre 1957, Coltrane retrouve le groupe de Miles Davis. Il poursuit un travail personnel sur le langage harmonique, abordant chaque accord sous tous les angles à la fois, à la façon des cubistes. Puis, l'année suivante, il signe un contrat d'enregistrement avec Atlantic Records. Après avoir enregistré les chefs-d'œuvres Milestones et surtout Kind of Blue avec le Miles Davis Sextet, il enregistre le vertigineux Giant Steps, son premier album en tant que leader sur le label Atlantic. En mars 1960, il part en tournée en Europe avec Miles Davis. Son style révolutionnaire y est fort mal accepté. Il se fait siffler lors d’un concert à l'Olympia de Paris.

Il forme ensuite son propre quartette, avec Steve Davis à la contrebasse, Steve Kuhn au piano et Pete LaRoca à la batterie. Ces derniers sont rapidement remplacés par McCoy Tyner au piano et Elvin Jones à la batterie. À l'automne, Reggie Workman vient remplacer Steve Davis à la contrebasse. Outre Giant Steps, il enregistre pour le label Atlantic plusieurs disques, tous considérés comme la quintessence de l'art coltranien, dont My Favorite Things, et Olé avec Eric Dolphy.

À cette époque, il découvre le saxophone soprano. Il dira plus tard que cette découverte va modifier sa conception du saxophone ténor, l’aidant à explorer toute l'étendue de l'instrument.
En 1961, Coltrane signe un contrat d'enregistrement décisif avec Impulse! qui débute par l'enregistrement de l'album Africa/Brass, avec un orchestre élargi sur des arrangements de McCoy Tyner et d'Eric Dolphy. Le producteur du label enregistre ensuite le groupe de Coltrane au Village Vanguard du 1er au 5 novembre. Il y est accompagné une nouvelle fois d'Eric Dolphy mais aussi d'Ahmed Abdul-Malik, le bassiste de Monk, qui joue du tampoura sur le morceau India. Dans ces magnifiques performances, Coltrane révèle toute sa puissance, en particulier dans une historique version fleuve de Chasin' the Trane.

Peu après ces concerts, Coltrane se rend en Europe, en compagnie d’Eric Dolphy, McCoy Tyner, Reggie Workman et Elvin Jones, où il reçoit un meilleur accueil que lors de son précédent séjour avec Miles Davis.

Le 11 avril 1962 ont lieu les premiers enregistrements (The Inch Worm et Big Nick) de ce qui deviendra le "classic quartet" composé de McCoy Tyner au piano, Jimmy Garrison à la basse et Elvin Jones à la batterie. L'album Coltrane publié par Impulse! est constitué du matériel enregistré lors de ces premières séances, avec notamment une version remarquable du standard Out Of This World.

Coltrane enregistre le 26 septembre 1962 un album en compagnie de Duke Ellington où il revient à une certain orthodoxie dans son style. L'album Ballads, enregistré à la même époque s'inscrit dans ce mouvement, de même que l'album avec Johnny Hartman, un chanteur de jazz, enregistré en 1963.

Le 15 septembre 1963, quatre fillettes noires sont tuées dans un attentat raciste à Birmingham (Alabama). À la suite de cette tragédie, Coltrane enregistre, le 18 novembre, la pièce Alabama en mémoire des enfants assassinés.

En avril 1964, Coltrane renouvelle son contrat avec le label Impulse!, puis enregistre Crescent, l'un des albums les plus aboutis de toute sa carrière. Le 9 décembre, le John Coltrane Quartet enregistre son chef-d'œuvre A Love Supreme, considéré comme l'un des albums les plus importants de l'histoire du jazz.

En juin 1965, Coltrane enregistre Ascension en compagnie de jeunes musiciens provenant du free-jazz comme Archie Shepp ou Pharoah Sanders, qui intégrera le groupe régulier de Coltrane dans les semaines qui suivront. Coltrane, toujours en quête, a pris l'habitude dans certains morceaux de faire taire piano et contrebasse pour rester seul face à la batterie (Vigil). Mais il impose aussi à Elvin Jones d'abandonner le tempo pour une pulsation rubato. En décembre 1965, insatisfait de la nouvelle orientation de la musique de Coltrane, McCoy Tyner quitte le groupe. Il sera remplacé par la seconde épouse de Coltrane, Alice McLeod. Il est suivi peu après par Elvin Jones en 1966, à la suite de l'arrivée du batteur Rashied Ali. Une autre histoire commence avec d’autres protagonistes, Rashied Ali, Pharoah Sanders, qui allait mener Coltrane vers des régions stellaires inatteignables..

Le 28 mai 1966, la nouvelle formation est enregistrée au Village Vanguard. L'album Live At The Village Vanguard Again! présente deux titres connus du répertoire de Coltrane (Naima et My Favorite Things), mais dans des versions "déstructurées" fort différentes de celles du précédent quartette. Du 8 au 24 juillet, le groupe part pour une tournée au Japon. Les concerts des 11 et 22 juillet 1966 seront publiés après la mort du saxophoniste sous le titre de Live In Japan.

Le 15 février 1967, Coltrane retrouve les chemins du studio d'Englewood Cliffs (New Jersey) en quartette (sans Pharoah Sanders) et enregistre des morceaux qui sortiront pour la plupart en 1995 sur Stellar Regions. Le 22 février, Coltrane rentre en studio en compagnie du batteur Rashied Ali pour produire une série de duos, publiés en 1974 sous le titre de Interstellar Space : Coltrane profite de l'absence de contexte harmonique pour explorer de nouvelles voies en termes d'improvisation, comprenant même l'atonalité. Expression, le dernier album pensé comme tel de son vivant, a été enregistré lors de cette période (27 février, 7 et 29 mars, puis 17 mai). Le 23 avril, le groupe de Coltrane se produit à deux reprises à l'Olatunji Center of African Culture. Le premier des deux concerts d'une heure constitue l'ultime enregistrement public du saxophoniste et a été publié par Impulse! en 2001.

Le 7 mai, au Famous Ballroom de Baltimore, Coltrane donne ce qui s'avèrera être son dernier concert. Les concerts annoncés alors sont annulés en raison de la santé déclinante de Coltrane.

En mai, Coltrane est pris d'une intense douleur à l'estomac. Il subit une biopsie, mais ne se fait pas traiter. Le 14 juillet, il rencontre son producteur pour choisir le matériel de ce qui deviendra son premier album posthume, Expression. Deux jours plus tard, aux petites heures du matin, il est conduit d'urgence à l'hôpital. Le 17 juillet, John Coltrane décède à quatre heures du matin d'un cancer du foie.

On peut distinguer trois périodes dans la musique de Coltrane : celle des collaborations avec Monk et Miles Davis, qui culmine avec Giant Steps. Ce morceau marque à la fois une certaine perfection et une limite. Coltrane semble avoir exploré toutes les possibilités harmoniques, et passera à la recherche modale. La période "classique" du quartet avec McCoy Tyner, Jimmy Garrison et Elvin Jones chez Impulse!, entre 1961 et 1965. Et enfin, la dernière période le verra dans l'improvisation collective (Ascension) puis dans une recherche effrenée. Piano, contrebasse et batterie bruissent autour du soliste à la façon de la tampura dans la musique indienne qui a pour fonction de mettre en évidence le cosmos avec lequel l'improvisateur entre en résonance.


Dans la gigantesque discographie de Coltrane (enregistrée sur une période restreinte : entre 1960 et 1966), il est difficile de faire une sélection. Après une série d'enregistrements pour Prestige (documentée par un coffret de 16 CD réédité en trois petits coffrets : " Interplay", " Fearless Leader" et "Side Steps") puis quelques disques chez Atlantic (dont le célèbre Giant Steps), la totalité de la discographie de Trane se trouve chez Impulse!, qui a réédité dans un magnifique coffret de 8 CD les enregistrements du quartet (John Coltrane : The Classic Quartet-Complete Impulse! Recordings ­Impulse!/Universal).


1946 et 1954 : First Giant Steps - RLR Records
1951 : Trane's First Ride - LP Oberon
1956 : Tenor Conclave - Prestige/OJC
1957 : Dakar - Prestige/OJC
1957 : Coltrane - Prestige/OJC
1957 : Cattin' with Coltrane and Quinichette - Prestige/OJC
1957 : Wheelin' and Dealin' - Prestige/OJC
1957 : Blue Train - Blue Note
1957 : Traneing In - Prestige/OJC
1957 : Plays the Blues - Prestige/OJC
1957 : The Believer - Prestige/OJC
1957 : Lush Life - Prestige/OJC
1957 : The Last Trane - Prestige/OJC
1957 : The Complete Lee Kraft Sessions
1958 : Soultrane - Prestige/OJC
1958 : Settin' the Pace - Prestige/OJC
1958 : Black Pearls - Prestige/OJC
1958 : Standard Coltrane - Prestige/OJC
1958 : Bahia - Prestige/OJC
1958 : The Stardust Session - Prestige/OJC
1958 : Coltrane Time - Blue Note
1959 : Giant Steps - Atlantic
1959 : Bags and Trane (avec Milt Jackson) - Atlantic
1960 : Coltrane Jazz - Atlantic
1960 : The Avant-Garde (avec Don Cherry) - Atlantic
1960 : My Favorite Things - Atlantic
1960 : Coltrane Plays the Blues - Atlantic
1960 : Coltrane's Sound - Atlantic
1961 : Olé Coltrane - Atlantic
1961 : The Complete 1961 Village Vanguard Recordings - Impulse!
1961 : Live at the Village Vanguard: the Master Takes - Impulse!
1961 : The Complete Africa/Brass Sessions - Impulse!
1961 : The Complete Copenhagen Concert
1962 : Coltrane - Impulse!
1962 : Ballads - Impulse!
1962 : Bye Bye Blackbird - Pablo
1962 : Duke Ellington and John Coltrane - Impulse
1963 : John Coltrane and Johnny Hartman - Impulse!
1963 : Live at Birdland - Impulse!
1963 : Impressions - Impulse!
1963 : Newport '63 - Impulse!
1963 : Afro Blue Impressions - Pablo live -sorti en 1977-
1964 : Crescent - Impulse!
1964 : A Love Supreme - Impulse!
1965 : The John Coltrane Quartet Plays - Impulse!
1965 : Dear Old Stockholm - Impulse!
1965 : Transition - Impulse!
1965 : Living Space - Impulse!
1965 : Ascension - Impulse!
1965 : New Thing at Newport - Impulse!
1965 : Sun Ship - Impulse!
1965 : First Meditations - Impulse!
1965 : Live in Seattle - Impulse!
1965 : Om - Impulse!
1965 : Kulu Sé Mama - Impulse!
1965 : Meditations - Impulse!
1966 : Live at the Village Vanguard Again! - Impulse!
1966 : Live in Japan - Impulse!
1966 : Last Performance at Newport - Free Factory
1967 : Interstellar Space - Impulse!
1967 : Expression - Impulse!
1967 : Stellar Regions - Impulse!
1967 : The Olatunji Concert - Impulse!

Giant Steps

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Giant Steps est le premier album de Coltrane publié en tant que leader pour Atlantic. L'album est enregistré peu de temps après Kind of Blue de Miles Davis. En l'espace de quelques semaines, John Coltrane marque de son empreinte l'histoire du jazz à deux reprises, mais avec des albums radicalement opposés. Si Kind of Blue ouvre les portes du jazz modal, Giant Steps pousse l'esthétique be bop à ses extrémités en le portant à un degré de complexité jusqu'alors inégalé.

Giant Steps est un album unique dans l'histoire du jazz.

Après Giant Steps, Coltrane changera de style, ayant probablement conscience qu'il était arrivé aux limites du jazz tonal. Coltrane présente dès ce disque des qualités de compositeur et d'interprète hors du commun.

Le morceau qui donne son titre au disque, Giant Steps, est le plus spectaculaire sans tourner à la démonstration ou à la virtuosité gratuite. Inspiré par le Thesaurus of Scales and Melodic Patterns de Nicolas Slonimsky, il est fondé sur des grilles d'accords très complexes sur lesquelles il semble impossible d'improviser à ce tempo. Cette grille est polytonale : les trois tonalités Si, Sol et Mib majeurs ont la même importance et divisent l'octave en 3 parties égales(3 tierces majeures).
Voici la grille des 8 premières mesures : | Bmaj7 D7 | Gmaj7 B♭7 | E♭maj7 | Am9 D7 | Gmaj7 B♭7 | E♭maj7 F♯7 | Bmaj7 | Fm9 B♭7 |

Cousin Mary revient à un style plus académique. Coltrane extrapole les 12 mesures du blues avec une grille d'accords originale, mais dont le feeling reste bluesy. La composition est dédiée à sa cousine, dont il fut très proche lors de ses premières années.

Sur Countdown, Coltrane pousse plus loin encore ce qu'il a amorcé avec Giant Steps. Dans un premier temps seul en duo avec Art Taylor, Tommy Flanagan ne rentre qu'en cours de morceau, se contentant de placer les accords alors que Paul Chambers ne se lance dans une walking bass qu'en fin de plage.

Spiral est une composition originale brillante, dont les climats évoluent selon les passages. La structure présente une alternance entre une descente d'accords chromatique alors que la basse ne bouge pas avec un autre passage en walking plus classique. Ce titre rend justice à Tommy Flanagan dont l'improvisation est ici de premier plan. C'est aussi l'occasion du premier solo de basse de Paul Chambers.

Syeeda's Song Flute (dont le titre renvoie à la belle-fille de John) est une composition dont le balancement rythmique, presque sautillant, sert à merveille un thème presque enfantin. Coltrane se montre là encore brillant compositeur. L'improvisation reprend un peu les choses où le titre précédent les avait laissé. Pourtant plus relâché que sur les première et troisième plages, le jeu de John n'en est pas moins dense, traversé d'une énergie de tous les instants. Tommy Flanagan et Paul Chambers profitent du tempo moins rapide de la composition pour développer leur solo respectif.

Dédié à sa première épouse, Naima est une des compositions les plus émouvantes de Coltrane.

L'album se termine avec Mr. P.C., un blues en mineur au tempo très rapide dédié au bassiste Paul Chambers. Coltrane joue ici des phrases très rapides avec un son sans vibrato dans un style hard bop dont il ne cessera de s'éloigner dans les mois à venir. L'improvisation de Coltrane est un modèle du genre : il débute son solo sur les chapeaux de roue mais réussit néanmoins à ne jamais faire retomber l'intensité. Le solo de Flanagan, dans un contexte harmonique normal, montre que ce dernier savait faire mouche sur un tempo élevé. Avec les années, Mr. P.C. est devenu un standard parmi les musiciens de jazz.


My Favorite Things

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My Favorite Things marque les débuts du nouveau groupe de John Coltrane, et notamment de sa collaboration avec McCoy Tyner et Elvin Jones, qui reste pour de nombreux critiques et amateurs l'une des meilleures de l'histoire du jazz. Les sessions qui ont donné naissance à cet album furent particulièrement riches. Elles donnèrent matière à deux autres albums du groupe : Coltrane's Sound et Coltrane Plays the Blues.

Le morceau titre, My Favorite Things, est une interprétation modale du standard de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein, tiré de la comédie musicale The Sound of Music (La Mélodie du bonheur). Il prolonge les innovations du Kind of Blue de Miles Davis en proposant de longues plages modales, alternant en majeur et mineur, et où Coltrane joue du saxophone soprano. C'est un tournant dans l'histoire de cet instrument, qui tombait alors en désuétude dans l'univers du jazz. Mais c'est surtout un bond en avant dans les conceptions modales, en termes de liberté et d'expressivité du soliste. il s'affranchit ici des grilles d'accords encore présentes sur Kind of Blue, en improvisant sur de courts motifs que la rythmique répète jusqu'à ce que le soliste décide de reprendre le thème. Il faut aussi souligner la façon dont Elvin Jones interagit avec Coltrane.

Son interprétation de Everytime We Say Goodbye, une ballade, est plus classique, même si l'utilisation du soprano donne au titre une couleur particulière.

Par contre, les interprétations des deux standards suivants sont très personnelles : Coltrane prend ses distances vis-à-vis du thème de Summertime, joué de façon peu orthodoxe. Il réharmonise ensuite But Not for Me en appliquant les trouvailles harmoniques de Giant Steps.


Un excellent article du site musiqxxl.fr :

My Favorite Things (John Coltrane), l’art de l’étirement en jazz modal

My Favorite Things témoigne d’une nouvelle étape fondamentale dans la discographie de John Coltrane. Après avoir atteint le paroxysme de son travail harmonique avec Giant Steps et, du même coup, une sorte d’impasse, les préoccupations de Coltrane sont en cette fin 1960 d’un autre ordre.

Tout distingue en fait ces deux albums phares : d’abord, au lieu de ses propres compositions dans Giant Steps, Coltrane ne joue que des standards dans John Coltrane My Favorite Things ; du reste, il laisse place aux interprétations étirées avec seulement deux pistes par face, dont l’une dépasse à chaque fois allègrement les dix minutes ; de plus, il troque pour la moitié du répertoire son éternel ténor pour le soprano ; enfin, et par-dessus tout, Coltrane revendique désormais clairement ses nouvelles ambitions modales.

L’album My Favorite Things porte le titre de la composition de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein, et c’est précisément l’interprétation que Coltrane en donne qui rend cet opus si indispensable. Cette chanson est d’abord popularisée en 1959 par Mary Martin sur les planches de Broadway, dans la comédie musicale The Sound of Music, plus connue dans nos contrées sous le nom de La Mélodie du bonheur.

Elle évoque les étapes difficiles d’une vie et la capacité à rebondir après les traumatismes. Elle deviendra, en 1965, un triomphe mondial avec l’adaptation cinématographique de la pièce sous les traits et la voix de Julie Andrews. Le choix de cette bluette populaire peut surprendre de la part d’un novateur de la trempe de Coltrane. En cause, une mélodie somme toute anodine et un ton enfantin. Et pourtant, le saxophoniste la plébiscite:

« Beaucoup de gens pensent à tort que “My Favorite Things” est une de mes compositions; j’aurais aimé l’avoir écrite mais elle est de Rodgers et Hammerstein ».

Ce qu’il affectionne, est cette possibilité d’évoluer dans des formes très segmentées, alternativement en mineur ou en majeur selon le propos et l’évocation des épisodes douloureux ou agréables d’une vie. Ces deux modes alternés offrent de nombreuses possibilités d’improvisation et traduisent la progression cyclique de la valse originale.

« My Favorite Things » est caractérisé par de rudimentaires changements d’accords et, dans certaines sections, ces accords ne changent pratiquement pas et offrent à cette mélodie un extérieur d’autant plus modal ; Coltrane passe simplement du mode mineur (plus sombre) au mode majeur (plus réjoui) en restant dans la même tonalité, instaurant ainsi une impression de stabilité tout au long du morceau malgré les changements d’« humeur ».

Dans la même interview, Coltrane révèle un autre aspect non négligeable de cette composition : « Cette valse est fantastique : quand vous la jouez lentement, elle a un côté gospel qui n’est pas du tout déplaisant; quand vous la jouez rapidement, elle possède aussi certaines qualités indéniables. C’est très intéressant de découvrir un terrain qui se renouvelle selon l’impulsion que vous lui donnez ».

Chaque couplet est calqué sur le rythme et la tonalité de l’interprétation originale de Mary Martin car le saxophoniste entend bien (pour l’heure...) en respecter l’ossature.

Le trio rythmique entame le morceau par un leitmotiv, suivi d’un rapide exposé du propos itératif qui va demeurer la constante de McCoy Tyner tout au long de ces treize minutes. Coltrane entre en scène et déverse de son soprano le thème fidèle à l’original.

L’auditeur est d’abord déconcerté par l’inhabituelle couleur de son souffle et son côté « nasal », voire oriental. En réitérant le thème dans la foulée, il réussit néanmoins à imposer le saxophone soprano comme taillé pour « My Favorite Things ».

Après cela, il déclenche sa première improvisation au-dessus du vamp de Tyner, avant de revenir à l’exposé du thème en le ponctuant de volubiles détours. C’est ensuite le pianiste qui interprète le refrain dans la même tonalité que son leader avant de s’autoriser, lui aussi, une belle improvisation d’où ressort le motif qu’il exposait en ouverture avec ses bribes thématiques.

Tyner et Coltrane se basent sur des gammes diatoniques modernes (le mode dorien) comme Miles Davis avec « Milestones » ou « So What ». Plus loin, le saxophoniste, libre de ses mouvements, s’échappe dans une longue digression, cette fois émancipée de la trame. Il est mû par l’extraordinaire impulsion que lui autorise son instrument et déverse alors un torrent de notes de plus en plus aiguës; autour des dixième et douzième minutes, l’auditeur percevra d’ailleurs les gémissements dont parlait Miles Davis.

L’accompagnement reste, lui, constant mais n’empêche pas Elvin Jones de se montrer inventif et loquace; Steve Davis tient, quant à lui, fermement son ostinato de basse. Coltrane reprend subrepticement le thème avant d’étirer à nouveau son tissu dans une improvisation véhémente. C’est là qu’il s’approprie littéralement la chansonnette originale et en altère les bases en lui insufflant une nouvelle âme.

Comme une récurrence, le thème revient pour ouvrir la brèche à la dernière section du morceau. Cette ultime minute évoque implicitement les moments plus éprouvants de la vie et le ton s’en ressent nettement; Coltrane y allonge ses notes et exprime un timbre affecté. La retenue de son trio renforce d’ailleurs cette impression.

La conclusion du joyau « My Favorite Things » passe par un climax au ton résolument opiniâtre. Coltrane donne avec ce cri sa propre définition de la résilience. L’auditeur constate alors, effaré, que treize minutes se sont déjà écoulées. « My Favorite Things » s’est consumé si rapidement que, devant l’éclat de cette longue progression, le temps est devenu une chimère. Il faudra s’y habituer car Coltrane brillera encore à de nombreuses reprises dans cette gymnastique de l’allongement.

Avec cette nouvelle œuvre, il crée une musique étonnante en utilisant un nombre d’accords réduit, en usant de répétitions enflammées et en étirant au maximum son interprétation, ce qui semble résumer au mieux sa formule modale. Il fera d’ailleurs de ce titre un (si ce n’est le) thème récurrent de ses concerts et l’étendra même en 1966 jusqu’à 57 minutes sur son Live In Japan (sur lequel il le défendra, armé d’un saxophone... alto).

Deux compositions de George Gershwin intègrent également le menu de My Favorite Things : « Summertime » et « But Not For Me ». Le premier préfigure le nouveau son au ténor de Coltrane et l’auditeur devine déjà le changement opéré par la pratique du soprano. Le timbre devient moins abrasif, moins âpre, moins angry mais plus pénétrant encore.

« Summertime » est aussi l’occasion de découvrir en solo chacun des membres du quartet avec d’abord un McCoy Tyner candide puis un Steve Davis toujours (trop?) équilibré. Ce long segment réservé aux deux rythmiciens se prolonge par un pont jubilatoire et accrocheur interprété en trio avec Elvin Jones.

Ce dernier se lance ensuite dans un succinct mais mélodieux chorus et impose sa singulière signature au-delà des traditionnelles attributions de la batterie. Alors que les échos de cette belle transition résonnent encore, Coltrane ressurgit et lance ses ultimes divagations. « Summertime » est vif et passionné, et confirme la bonne tenue du quartet où chacun applique au thème original un habillage modal séduisant (le mode phrygien en l’occurrence).

« But Not For Me » est nettement moins ardent mais de sa souplesse naît une attrayante poésie. Le recueil de standards est complété par « Everytime We Say Goodbye », joué au soprano. Le groupe surfe sur les possibilités modales qu’offre la composition de Cole Porter.

Coltrane et Tyner usent à nouveau de peu d’accords et exploitent les mêmes gammes en se souciant uniquement de la direction musicale qu’impose la ballade originale. Dévoué à ce dessein, le quartet accroit ainsi le côté mélodique du classique de Porter.

My Favorite Things sera un des best-sellers du saxophoniste, bien aidé en cela par les passages en radio du single éponyme et sa version raccourcie à... trois minutes. Sans doute moins frondeur que Giant Steps, l’album fait d’autant plus l’unanimité, aussi bien dans les cénacles jazziques qu’auprès du grand public. Il va faire de Coltrane un artiste parmi les plus reconnus, appréciés et bankable. My Favorite Things est inévitablement à ranger dans la catégorie des essentiels.

© Nicolas Fily

CREDITS :

The Complete 1961 Village Vanguard Recordings

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Oui, "The Complete 1961 Village Vanguard Recordings" est un coffret. Mais il est essentiel. John Coltrane est pour quatre soirées d'affilée au célèbre club jazz de Greenwich Villageen. Avec son quartet mais aussi Éric Dolphy. Les vingt-deux titres donnés en quatre jours et disséminés auparavant sur des disques comme "Live at The Village Vanguard", "Impressions", "Trane's Mode" ou autres sont enfin réunis dans leur intégralité. Certes, ce sont majoritairement les mêmes titres qui reviennent, "India", "Chasin' The Trane", "Impressions", "Spiritual" et "Miles' Mode" étant interprétés chaque soir. Mais jamais deux fois de la même manière. Et c'est là aussi tout l'intérêt du coffret qui rend enfin compte de l’extraordinaire tension qui anime cette musique de bout en bout, avec des montées en puissance proprement sidérantes qui aujourd’hui encore laissent sans voix.

John Coltrane with Johnny Hartman

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Album moins célèbre que Ballads, John Coltrane with Johnny Hartman dégage un charme particulier. Les années 1962-63 furent deux années de « pause » pour Coltrane. Le producteur Bob Thiele contrebalance le lyrisme exacerbé de Coltrane par des commandes plus "sages". En plein milieu de l’ascension de la « New Thing », Coltrane semble en prendre le contre-pied et revenir à des conceptions plus classiques. En plus des Ballads enregistrées un an plus tôt, John et son quartet enregistrent avec Duke Ellington et le crooner Johnny Hartman.

Composé uniquement de standards de Billy Strayhorn (« Lush Life »), Rodgers-Hart (« You Are Too Beautiful ») ou encore Irving Berlin (« They Say It’s Wonderful »), John Coltrane & Johnny Hartman lest un disque magnifique. La complémentarité Coltrane/Hartman est surprenante : sur « Dedicated To You », on passe de l’un à l’autre sans (presque) s’en apercevoir. Coltrane donne l’impression de chanter ses notes tandis qu’Hartman les rend cuivrées et joue de sa voix comme d’un instrument. C’est seulement sur « Autumn Serenade », peut-être, que le saxophoniste se permet, dans son solo, les petites saccades de notes qui constituent son style et construisent sa sonorité. McCoy Tyner, Jimmy Garrison et Elvin Jones s’effacent parfois pour laisser dialoguer Coltrane avec Hartman. En prenant soin de se charger de toute la partie harmonique et de la base rythmique du morceau en pianissimo, ils laissent aux deux solistes tout le loisir de se prêter au jeu mélodique.

La chronique de Citizen Jazz


Crescent

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Des disques de la première période Impulse! (celle avant la scission du groupe), "Crescent" est sans conteste le plus crépusculaire de tous. Les climats de l'album tranchent du reste de la discographie de Coltrane.  Le Coltrane de Giant Steps est loin ; seul "Bessie's Blues" un blues en 12 mesures dans la tradition du bebop, diffère du reste de l'album et renvoie au passé, comme un dernier regard en arrière avant de tout quitter. Une grande page va être tournée. Chacun s'exprime comme il ne l'avait jamais fait. McCoy Tyner brille dans l'atmosphère divine de Wise One, Jimmy Garrison se livre à l'exercice controversé de la contrebasse solo avec brio sur Lonnie's Lament, qui sonne presque comme un chant funéraire. Sans parler d'Elvin Jones, à qui un morceau entier est dédié (The Drum Thing). On trouve sur "Crescent" parmi les thèmes les plus forts et les plus personnels jamais écrits par Coltrane.

A Love supreme

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Ce grand classique du quartette voit se combiner l'expérience de Giant Steps, la maîtrise de l'improvisation modale et par motifs, l'attrait des intervalles de quarte, l'expression sous-entendue de la pulsation et les aspirations mystiques du saxophoniste.
(voir en page "Disques du mois")

A Love Supreme, véritable hymne de louanges au Créateur

Source : musiqxxl.fr

Lorsqu’en décembre 1964, le saxophoniste est entré en studio avec le pianiste McCoy Tyner, le bassiste Jimmy Garrison et le batteur Elvin Jones, il s’était sorti depuis longtemps de son addiction aux drogues. Ce quartette a alors acquis la réputation d’être l’un des ensembles les plus innovants du jazz. Chacun de ses spectacles s’apparentait à une incursion dans l’inconnu, dans l’inouï. Et il n’était pas rare que les thèmes n’occupent qu’une place accessoire : l’essentiel était de voir ce qui pouvait en sortir en improvisation. Néanmoins, pour cette session d’enregistrement, John Coltrane avait tout défini au préalable : une suite structurée de bout en bout, commençant par une invocation forte et s’achevant sur une lente prière.

A Love Supreme. Installé dans son appartement de New York à l’été 1964, John Coltrane s’enferme cinq jours durant dans la chambre du haut, celle où personne ne va jamais. Il a pris avec lui du papier, un crayon et son saxophone. Lorsqu’il réapparaît, sa femme Alice est stupéfaite :

“On aurait dit Moïse revenant de la montagne ; c’était si beau. Il est descendu et il y avait cette joie, cette paix sur son visage, cette tranquillité. Je lui dis : Dis-moi tout... On ne ta pas vu depuis cinq jours. Il répondit : C’est la première fois que j’ai tout reçu de la musique que je veux enregistrer, sous la forme d’une suite. C’est la première fois que j’ai tout ; tout est prêt.

Le mercredi 9 décembre 1964, John Coltrane et son quartet enregistrent de 20 heures à minuit dans les studios Rudy Van Gelder, New Jersey. L’incantation de l’introduction s’élève, accompagnée d’un gong.

Durant les quatre heures qui suivent est couché sur bande un des disques régulièrement cité comme l’un des vingt plus beaux de l’histoire du jazz, entièrement improvisé à partir des indications notées par John Coltrane durant l’été. Le lendemain, Coltrane procède à l’overdub de sa propre voix scandant / A Love Supreme.

Une seconde chance sera prise le lendemain, longtemps inédite, avec Archie Shepp en deuxième saxophoniste et Art Davis comme second contrebassiste (Coltrane renonçant finalement à son idée initiale de rajouter des percussions latines).

« Lorsque Coltrane enregistre A Love Supreme, il n’y a pas d’artefacts, pas même de cabines : John Coltrane, McCoy Tyner, Elvin Jones et Jimmy Garrison sont dans la même pièce. Ils vont marquer l’histoire de la musique, et leur contribution ne pouvait pas supposer d’ajout ni retouches. » (Rudy Van Gelder)

Quatre musiciens unis par un sentiment d’urgence, comme si c’était la dernière fois, comme si c’était la première fois, qu’ils jouaient ensemble. C’est cela A Love Supreme : un son qui fonctionne d’un bloc (même si quelques overdubs dont la voix seront ajoutés le lendemain) dans ce studio qui ressemble à une cathédrale, quatre mouvements pour une unité spirituelle qui rappelle l’importance des spirituals chez John Coltrane.

Dans le court texte qui accompagne le disque, le saxophoniste remercie le Tout Puissant de lui avoir montrer la voie à partir de 1957, ce chemin qui va de la connaissance (« Acknowledgement ») à la transcendance. « All praise be to God to whom all praise is due », (Que toutes les louanges soient adressées à Dieu, à qui doivent revenir toutes les louanges). Cet album était pour lui une tentative de remercier Dieu. Il y a beaucoup de façons de sortir d’une crise de personnalité, et la religiosité en est une largement répandue parmi les musiciens.

Dans A Love Supreme, la musique devient une offrande d’une grande sagesse. Ou mieux, une prière dans laquelle Coltrane tente de nous conduire à la révélation selon laquelle Dieu serait partout – et entre autres dans chacune de ses notes – en suivant un chemin menant à la découverte de la foi, articulé en quatre parties, sous forme d’un long crescendo/decrescendo où le calme succède à la tempête.

Aknowledgement (Reconnaissance), Resolution (Résolution), Persuance (Accomplissement) et Psalm (Psaume) marquent autant d’étapes dans un pèlerinage en quête du Divin réalisé comme une longue suite aux colorations modales, dont la dernière partie peut être envisagée comme la « récitation sans paroles » d’un poème que, deux ans et demi plus tard, Cal Massey lira aux obsèques de Coltrane.

En matière d’aspirations musicales et spirituelles, A Love Supreme est probablement le seul enregistrement dont Coltrane aura été entièrement satisfait, tant son quartet frôlait alors la quintessence d’un art « parfait » où l’inspiration n’avait d’égale que la pertinence de la construction formelle.

D’ailleurs, cette suite ne sera jouée dans son intégralité qu’une seule fois, au Festival du Jazz d’Antibes en 1965, et des extraits n’en seront interprétés que très occasionnellement.

Pourtant, à force de vouloir reculer les limites de son univers, la formation régulière de A Love Supreme devra être abandonnée au profit de groupes à géométrie variable, favorables à des résonances encore moins prévisibles comme aux entrelacs d’improvisations de plus en plus débridées.

À partir de Crescent, puis de A Love Supreme, le rêve d’une musique cosmique, littéralement inouïe, et qui ne serait qu’émotion pure, ne tardera pas à devenir une stupéfiante réalité. Depuis, une église de San Francisco a construit ses services autour de cet album dont elle considère l’auteur comme un saint qu’elle vénère à ce titre.

Pour sa remasterisation, c’est Rudy Van Gelder lui même qui l’a réalise, toutes les éditions précédentes étant désormais obsolètes. Jamais cette œuvre mythique n’a été entendue avec une telle clarté, une telle vertigineuse présence.

Au-delà des fabuleuses inventions rythmiques d’Elvin Jones, de l’incroyable liberté harmonique et de la transe créatrice dont fait preuve Coltrane, il s’agit de l’une des très grandes réussites esthétiques de l’histoire du jazz. Comme Crescent qui le précède – et Transition qui lui fait suite – A Love Supreme est un disque en paix avec lui-même, un album dont émane une certaine forme de quiétude au diapason de ce qu’il faut comprendre comme un véritable hymne de louanges au Créateur.

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« A Love Supreme  »: le chef d’œuvre de John Coltrane expliqué

Tout ce que vous devez savoir sur l'un des albums de jazz les plus importants de tous les temps.

Peu d'albums de jazz ont été disséqués, analysés et écrits autant que le chef-d'œuvre sanctifié de John Coltrane, A Love Supreme. C'est un album qui a été autrefois décrit par Donald Fagen de Steely Dan comme « La Bible », et dont ses fidèles parlent souvent dans des tons feutrés et révérencieux.

Possédant une beauté rare et mystérieuse, A Love Supreme est l'hymne de louange à Dieu de Coltrane, et a continué à éclipser, en termes de ventes et de renommée, tous les autres enregistrements que le musicien né en Caroline du Nord a publié pendant sa courte mais fertile carrière. Coltrane avait déjà enregistré plusieurs albums importants - notamment Blue Train, Giant Steps et My Favorite Things - mais A Love Supreme est le disque qui a étendu sa renommée bien au-delà du monde du jazz.

Malgré toute sa notoriété, cependant, il y a encore des gens qui viennent à cette musique en ignorant les circonstances derrière son enregistrement et pourquoi cela compte encore aujourd'hui. Nous espérons que cet article expliquera en partie certaines des questions de base sur A Love Supreme de John Coltrane.

Pourquoi A Love Supreme est-il considéré comme important?

A Love Supreme est le couronnement de l’un des musiciens les plus novateurs et les plus influents du jazz; une pierre de touche qui continue de résonner et d'inspirer musiciens et auditeurs du monde entier. Il a marqué le summum absolu de la vie créative de John Coltrane; l'album qui a fait de lui une icône sacrée.

En termes de cohérence de vision artistique, de contenu intellectuel, de poids émotionnel et de créativité musicale, A Love Supreme représente un point culminant non seulement pour le jazz mais aussi pour la musique en général. Le batteur Elvin Jones, dont les polyrythmies ont contribué à définir le son de A Love Supreme, a décrit l'album en 2001 comme "toute l'histoire de toute la vie [de John Coltrane]", ajoutant: "Cela a élargi le concept de ce qu'était la musique."

Quel est le concept derrière A Love Supreme?

John Coltrane a conçu A Love Supreme comme une suite en quatre parties retraçant sa route vers la rédemption. En 1957, Coltrane a eu une révélation qui a changé sa vie en le sauvant de l'addiction et l'a conduit à un sentiment de conscience spirituelle accrue. Coltrane a écrit les notes de l'album sous la forme d'une lettre adressée à l'auditeur, et a inclus un poème exprimant sa profonde gratitude envers Dieu. A Love Supreme est donc le son de Coltrane qui réussit à tisser ensemble les volets musicaux et spirituels de sa vie.

Où en était John Coltrane dans sa carrière au moment de l'enregistrement?

Coltrane avait 38 ans lorsqu'il a enregistré A Love Supreme et était alors le leader incontesté du jazz moderne qui se rapprochait de plus en plus d'une approche avant-gardiste plus extrême. Il est devenu célèbre dans le Miles Davis Quintet au milieu des années 1950 avant de lancer sa carrière solo chez le label Prestige en 1957. Sa carrière prend de l'ampleur entre 1959 et 1961 lors d'un passage productif chez Atlantic Records, mais s'épanouit plus pleinement chez Impulse !, où il est resté de 1961 jusqu'à sa mort en 1967. A Love Supreme était son dixième album pour la compagnie et le 17e de sa carrière, dans le sillage de Crescent, sorti un an plus tôt.

Où l'album a-t-il été enregistré?

A Love Supreme a été enregistré dans l'un des studios d'enregistrement les plus réputés de l'histoire du jazz, le studio Van Gelder à Englewood Cliffs, New Jersey, où de nombreuses sessions classiques de Blue Note, CTI et Impulse! ont été enregistrées. Bob Thiele, producteur de Coltrane depuis le LP Live! At Village Vanguard, a supervisé la session; c'était quelqu'un en qui Coltrane avait confiance parce qu'il donnait des mots d'encouragement plutôt que des directives, permettant au saxophoniste de s'exprimer totalement et de contrôler totalement sa musique.

L'album de 32 minutes a été enregistré en une seule session de quatre heures, entre 20 heures et minuit, le 9 décembre 1964. Son ingénieur était Rudy Van Gelder, réputé pour sa préparation méticuleuse, son souci du détail chirugical, et son art de bien placer les micros. Il avait déjà travaillé plusieurs fois avec Coltrane; enregistrant son album Blue Note de 1957, Blue Train, ainsi que tout les disques Prestige du saxophoniste et ses précédents disques Impulse!

Qui joue sur le disque?

Coltrane était accompagné du groupe connu sous le nom de « Quartet classique ». Aussi important dans l’histoire du jazz que le Hot Five de Louis Armstrong et les deux grands quintettes de Miles Davis, le groupe était composé du pianiste McCoy Tyner, du bassiste Jimmy Garrison et du batteur Elvin Jones. Tous des musiciens extrêmement talentueux, ils avaient rejoint le saxophoniste à différentes époques - Tyner et Jones en 1960, Garrison au début de 1962 - mais se sont rapidement fondus en une unité cohérente dont les sensibilités étaient parfaitement adaptées à la vision sonore et métaphysique de Coltrane. Le quatuor ne durera que jusqu'en décembre 1965, date à laquelle Tyner partit, suivi de près par Jones. Les deux hommes se sont sentis mal à l'aise dans la nouvelle direction musicale du saxophoniste à la suite de A Love Supreme.

Quel est le son et le style du disque?

Si A Love Supreme - malgré sa renommée - n’est pas l’une des œuvres les plus accessibles du saxophoniste, c’est sans doute son enregistrement le plus prenant. Sur le plan stylistique, l’album est un exemple par excellence de jazz modal, qui est basé sur des échelles définies plutôt que sur des séquences d’accords et donne un son souvent harmoniquement statique mais toujours fascinant.

Il attire l'auditeur dès les toutes premières mesures de « Part 1 - Acknowledgment », où, après la vague sonore du coup de gong chinois d'Elvin Jones, nous entendons le ténor de Coltrane accompagné par les accords ténébreux du piano de McCoy Tyner. Puis les cymbales chatoyantes de Jones introduisent le morceau proprement dit; un appel à la prière qui commence par le motif de basse à quatre notes répété de Jimmy Garrison, ensuite repris par le saxo de Coltrane et devenant finalement la base d'un chant vocal semblable à un mantra.

"Part II - Resolution " swingue fort avec des rythmes vertigineux et tourbillonnants, tandis que la fébrile "Part III - Pursuance" s'ouvre sur un solo de batterie turbulent. A Love Supreme se termine par la « Part IV - Psalm » imprégnée de blues, qui se résout sur une note triomphante d'exaltation religieuse.

Qu'ont pensé les gens du disque au moment de sa sortie?

Sorti sur le label Impulse! en février 1965, A Love Supreme a été universellement salué comme le chef-d’œuvre définissant la carrière du saxophoniste. Son impact a été si profond qu’il est rapidement devenu l’une des plus grandes réalisations musicales du jazz - et de Coltrane. Malgré sa nature ésotérique et profondément spirituelle, il a instantanément trouvé la faveur des cercles jazz et rock. La bible influente du jazz, Downbeat, a donné au disque la note cinq étoiles et, plus tard cette année-là, les lecteurs du même magazine l'ont élu Album de l'année.

A Love Supreme était même présent aux Grammy Awards 1966, nominé au titre de la meilleure petite formation et de la meilleure composition de jazz originale (ce sont respectivement le Ramsey Lewis Trio et Lalo Schifrin qui l'ont emporté). Le LP est finalement devenu Disque d'Or aux états-Unis, au Royaume-Uni et en Italie et reste l'œuvre la plus réussie commercialement de John Coltrane.

Quelle a été l'influence de A Love Supreme?

A Love Supreme est peut-être le seul album de l'histoire de la musique dont le message spirituel a inspiré la fondation d'un sanctuaire sacré dédié à son créateur et à sa musique: The Church Of St.John Coltrane a été fondée à San Francisco en 1971.

L'album a également donné naissance à ce qui est connu sous le nom de « jazz spirituel », caractérisé par le mariage de profondes réflexions cosmiques avec des sons progressifs mêlant jazz, blues, gospel, folk et musique orientale. Ses pratiquants comprenaient la femme de Coltrane, Alice, avec Albert Ayler, Pharoah Sanders, Lonnie Liston Smith et, plus récemment, Kamasi Washington, qui a relancé le genre de manière spectaculaire.

La musique rock, elle aussi, a été profondément affectée par A Love Supreme; des groupes de la fin des années 60 comme les Grateful Dead, Santana et les Allman Brothers étaient réputés pour jouer de longs solos sur de longs passages à un accord; une fonctionnalité inspirée du style modal hypnotique et ouvert de A Love Supreme.

A Love Supreme a également engendré une multitude de reprises. La première par Alice Coltrane (sur son album de 1972 World Galaxy) et des vedettes du jazz-rock Carlos Santana et John McLaughlin (sur leur album de 1973, Love Devotion Surrender), qui ont enregistré "Acknowledgment" (intitulé « A Love Supreme »). Elvin Jones et McCoy Tyner ont également rendu hommage à l'album sur leurs albums solo en enregistrant respectivement « Acknowledgment » et « Pursuance ». En 1994, le Branford Marsalis Quartet est allé jusqu'à enregistrer A Love Supreme dans son intégralité. En dehors du jazz, en 1988, le crooner soul-jazz Will Downing a radicalement retravaillé le chant vocal de A Love Supreme et l'a transformé en un tube pop orienté danse sous le même nom.

Dans quelle direction la musique de Coltrane est-elle allée après A Love Supreme?

Bien que Coltrane n'ait vécu que deux ans et demi après l'enregistrement de A Love Supreme, l'album était sa rampe de lancement pour des explorations encore plus profondes de la spiritualité à travers le son; ouvrant un portail vers un nouveau cosmos sonore défini par une musique atonale intense et des compositions longues et tentaculaires jouées par de grands ensembles (Ascension) et des suites interprétées par des duos de saxophones et de tambours (Interstellar Space).

Traduit de l'anglais. Source : https://www.udiscovermusic.com

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Pour la dernière période de Coltrane, je choisis Expression, le dernier publié de son vivant. Ascension est un album important mais son écoute est assez éprouvante...

Signalons aussi un autre coffret ("The Heavyweight champion") reprenant les disques Atlantic de Coltrane ; indispensable lui aussi !

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Sur la platine

John Coltrane : un temple pour une offrande

Retour sur la parution en 2014 d’un enregistrement live aux accents déchirants, en date du 11 novembre 1966.

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La musique de John Coltrane... Quels chemins aurait-elle empruntés si le saxophoniste n’avait pas quitté ce monde alors qu’il n’avait que 40 ans ? Aurait-elle été la même s’il n’avait pas souffert à ce point et senti sa fin approcher ? Son « Cri » aurait-il été aussi poignant sans l’urgence qui semblait le commander ? Nul ne le saura jamais. « Offering, Live At Temple University », enregistré le 11 novembre 1966, se présente comme un enregistrement qui sonde le mystère de sa vie météorique. S’il n’apporte pas la réponse à toutes ces questions, il vient nous rappeler cependant à quel point vie et musique ne faisaient qu’une chez le saxophoniste.

La discographie est imposante : des albums en nombre, une diversité fulgurante, un concentré créatif d’une douzaine d’années seulement – on ne comptera pas les quelques témoignages de ses années d’apprentissage – d’abord aux côtés des grands que furent Miles Davis, Cecil Taylor ou Thelonious Monk. Puis en leader, car John Coltrane, c’est d’abord l’histoire d’un envol unique dont rendent compte des intégrales somptueuses, comme celles publiées par les labels Prestige (1956-1958) ou Atlantic (1959-1961) ou encore tous les enregistrements pour le compte d’Impulse ! à compter de 1961 et jusqu’à la fin. Ce sont des disques jalons, comme Giant Steps en 1959, symbole de l’émancipation, My Favorite Things l’année suivante ou A Love Supreme enregistré en décembre 1964, prélude mystique à une période incandescente et marqueur de la quête d’un absolu d’essence religieuse qui le guidera jusqu’à son ultime souffle. Sans oublier une myriade d’enregistrements live qui continuent de susciter la sidération. Impossible d’en établir le catalogue complet, mais comment ne pas évoquer par exemple : l’enregistrement historique à l’Olympia le 20 mars 1960 aux côtés de Miles Davis ; Live At The Village Vanguard en novembre 1961, quatre soirées de concerts enfiévrées par la présence d’un Eric Dolphy magnétique et imprévisible ; le coffret Live Trane, The European Tours, formidable passage en revue de tournées en Europe entre novembre 1961 et novembre 1963 ; ou bien encore la force surhumaine de Live At The Half Note : One Down One Up, au printemps 1965 ; et que dire de Live In Japan, monumental reflet de la dernière tournée du saxophoniste en terre étrangère, en juillet 1966, qui voyait certaines compositions comme « My Favorite Things » durer jusqu’à près d’une heure ?

La parution durant l’été 2014 d’un double CD enregistré en public le 11 novembre 1966 a pu à l’époque être ressentie, à juste titre, comme un événement. Non qu’il constituât une réelle nouveauté : à l’origine diffusé à la radio, ce concert avait fait l’objet d’une première publication, mais partielle et plus ou moins officielle, chez Free Factory en 2010. Cette fois – avec la bénédiction de Ravi Coltrane, dépositaire des archives sonores de son père – c’est sur le label Resonance Records que verra le jour cet Offering Live At Temple University, comblant le manque ressenti du fait de l’absence de la dernière demi-heure du concert dans sa première exhumation. Un semi-nouveauté, donc, mais d’importance, pour laquelle était conservée l’apparence d’un disque aux couleurs d’Impulse, et dont les notes de pochettes bien documentées racontent avec précision l’histoire, sous la plume d’Ashley Kahn, coproducteur de cette réédition bienvenue.

Coltrane ne mangeait quasiment plus, cherchant à purifier son organisme pour soulager son foie malade.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce concert, tant il intervient à un moment crucial de la vie de John Coltrane. On sait que celui-ci sentait déjà très mal : le producteur George Wein lui ayant proposé d’organiser une tournée en Europe après celle du Japon en juillet 1966, le saxophoniste avait dû décliner l’offre. Il lui répondit qu’il n’était pas certain de pouvoir l’entreprendre, parce qu’il s’estimait physiquement trop faible. Coltrane ne mangeait quasiment plus, cherchant à purifier son organisme pour soulager son foie malade. De son côté, Ravi Shankar se souvient d’avoir imaginé avec lui une visite en Inde et l’avoir interpellé sur l’évolution de sa musique qui traduisait selon lui le cri d’une âme tourmentée, alors qu’il pensait que Coltrane avait surmonté ce qui était l’expression d’une douleur. Le saxophoniste, toujours en quête d’absolu, lui avait alors expliqué qu’il avait encore à apprendre, et notamment de sa part. En particulier comment nourrir, tout comme lui, sa musique de paix pour la transmettre à ceux qui l’écoutaient.

Coltrane se savait malade, il sentait probablement rôder la mort et vivait pourtant avec la certitude que son chemin musical et spirituel ne pouvait avoir de fin. Il lui fallait aller toujours plus loin, toujours plus haut, non sans encourir le risque d’égarer une partie de ceux qui suivaient son parcours stratosphérique depuis plusieurs années. Son quartet de cœur (McCoy Tyner au piano, Jimmy Garrison à la contrebasse et Elvin Jones à la batterie) n’avait pas résisté à la folie d’une quête au service de laquelle officiaient depuis le début de l’année 1966 sa femme Alice Coltrane (piano), Pharoah Sanders (saxophone), Rashied Ali (batterie) et, seul survivant de la précédente formation, Jimmy Garrison (contrebasse).

Parfois, d’autres musiciens venaient les rejoindre sur scène (souvent des percussionnistes), marquant la volonté de John Coltrane – déjà perceptible à travers des enregistrements tels qu’Africa Brass en 1961 ou Ascension en 1965 – d’étoffer sa palette sonore et de faire vivre au cœur de sa musique l’idée de foisonnement qui avait rebuté Elvin Jones lui-même, lorsque le batteur avait dû s’accommoder de la présence d’un concurrent à ses côtés.

Un phénomène confinant à la sorcellerie

Offering Live At Temple University est un enregistrement unique, et pas seulement parce que ce concert – qui ne se soldera pas par une réussite financière pour l’association étudiante qui l’avait organisée, puisqu’il en résultera une perte de 1000 dollars amortie par le succès d’une précédente prestation de Dionne Warwick – intervient dans la phase ultime de la vie du saxophoniste. Il sera un choc pour beaucoup de spectateurs découvrant ce qui s’apparentait à une cérémonie, mais aussi un événement déterminant pour bon nombre de musiciens, aussi bien ceux qui eurent ce jour-là la chance de monter sur scène le temps d’un chorus (comme Arnold Joyner et Steve Knoblauch au saxophone) et resteront marqués à vie par l’événement auquel ils avaient pris part, même s’ils n’étaient pas toujours supposés jouer (Joyner raconte qu’on l’avait laissé entrer dans les loges sans savoir qui il était, parce qu’il avait un saxophone à la main), que d’autres ayant vécu ces instants comme simples spectateurs. Ainsi Michael Brecker qui confiera que le concert fut essentiel dans sa décision de choisir la musique comme un mode de vie, parce qu’il avait ressenti celle de Coltrane à la façon d’un appel.

Une précision s’impose : cette musique ne saurait être écoutée de manière distraite. Coltrane est au plus profond de son engagement musical et spirituel, sa démarche, très introspective, le pousse (ainsi que ses camarades de scène) à libérer à certains moments un free jazz qui pourrait rebuter les profanes. Il faut juste se poser, plonger au cœur de cette folie intérieure et se laisser submerger par l’abandon. On peut recommander une écoute au casque, même si la qualité du son est à certains moments celle d’un bootleg d’excellente facture. Qui tentera cette aventure mystique sera récompensé par la perception instantanée d’un phénomène confinant à la sorcellerie. Peut-être qu’un tel concert, une célébration en réalité, avait subi l’influence d’essence religieuse des lieux, la « Temple University ». Allez savoir...

John Coltrane se présente sur scène, devant 700 personnes environ et, semble-t-il, un certain nombre de sièges vides. Il est porteur d’une évidente souffrance : on ressent cette dernière dans sa façon poignante d’exposer les thèmes et de tourner autour des mélodies qu’il étire et distord, comme s’il continuait, encore et encore, jusqu’au bout du chemin qu’il paraît entrevoir, à chercher une réponse à son propre questionnement existentiel. « Naima », « Crescent », « Offering » ou « My Favorite Things » (joué en final comme un trait d’union avec les années passées) ruissellent d’une émotion douloureuse qui vous prend à la gorge. Et ce n’est qu’après avoir laissé la parole aux musiciens à ses côtés qu’il revient, brûlant d’une fièvre qui l’emporte très haut, vers cet inconnu qu’il sonde jusqu’à l’épuisement.

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On vient de le dire : Coltrane offre de grands espaces à ses musiciens. Ce sont par exemple les lumineux solos d’Alice Coltrane sur « Naima » ou « My Favorite Things » ; c’est Pharoah Sanders qui fait gémir son ténor comme une bête traquée sur « Crescent » ou « Leo », parfois secondé par Coltrane qui s’est emparé d’une flûte ; ou bien encore Rashied Ali, dont le foisonnement percussif est amplifié par la présence à ses côtés de plusieurs joueurs de congas (« Leo ») ; ce sont des voix inédites, aussi, comme celle d’Arnold Joyner sur « Crescent » ou de Steve Knoblauch au saxophone alto sur « My Favorite Things », tous deux habités d’une transe héritée de la New Thing et de son free jazz échevelé.

John Coltrane abandonne pendant quelques instants son instrument pour chanter.

Il se passe décidément quelque chose d’incroyable en ce 11 novembre 1966... Ce concert n’a pas fini de hanter les mémoires de ceux qui l’ont vécu, tantôt soulevés par un enthousiasme dévastateur, parfois déroutés par tant de convulsions, mais jamais indifférents.

Et puis... il reste un mystère, qui surgit à plusieurs reprises durant les quatre-vingt-dix minutes de Offering, Live At Temple University. écoutons attentivement... John Coltrane abandonne pendant quelques instants son instrument pour chanter. Oui chanter : sans paroles, mais dans une sorte d’appel vocal proche de l’extase, mu par une urgence irrépressible et vitale, qu’il reprend ensuite au saxophone, comme s’il lui avait d’abord fallu modeler la mélodie au moyen de son propre corps, jusqu’à se frapper frénétiquement la poitrine, avant de former (comme le ferait un sculpteur) sa version instrumentale. « Leo » et « My Favorite Things » sont pour John Coltrane l’occasion de se présenter ainsi, dans une nudité absolue, celle de sa vérité, face à un public médusé qui – tous les témoignages le confirment – n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles.

On savait que le saxophone était pour John Coltrane le prolongement de sa propre voix ; on comprend que celle-ci est elle-même le dépassement du saxophone. Bien des débats se sont fait jour après cette soirée si magnétique : Coltrane voulait-il signifier par là qu’il lui fallait aller encore au-delà, trouver une nouvelle expression de son Cri ? Ou bien ne faisait-il vraiment plus qu’un avec son saxophone, au point que la distinction entre sa voix et son instrument n’avait plus de sens ?

On ne connaitra jamais la réponse à ces questions car le temps a manqué à John Coltrane pour en parler. Son activité ira en diminuant, parce que le saxophoniste sentait ses forces l’abandonner jour après jour. Encore quelques sessions en studio au début de l’année 1967 (comme celle du 15 février qui donnera naissance à Expression, son dernier album publié quelque temps après sa mort ; ou celle du 22, en duo avec Rashied Ali, qui sera publiée en 1974 sous le titre de Interstellar Space) ; puis deux ultimes concerts : le 23 avril 1967 au Centre Olatunji de New York (celui-ci ayant fait l’objet d’une publication sur Impulse) et le 7 mai suivant à Baltimore.

Les deux mois qui suivront ne seront que douleur.

Offering, Live At Temple University ne résout pas le mystère Coltrane, qui restera entier et c’est tant mieux. Mais on ne peut qu’être transporté de joie en redécouvrant ces moments d’une intensité brûlante qui constituent une des dernières pièces à verser à ce dossier riche et complexe qu’est l’histoire du saxophoniste. Comme une offrande.

par Denis Desassis // Publié le 20 décembre 2020

P.-S. :

Offering, Live At Temple University - Resonance Records
« Naima » (16:28) - « Crescent » (26:11) - « Leo » (21:29) - « Offering » (4:19) - « My Favorite Things » (23:18)
John Coltrane (saxophones ténor et soprano, flûte, chant) ; Pharoah Sanders (saxophone ténor, piccolo) ; Alice Coltrane (piano) ; Sonny Johnson (contrebasse) ; Rashied Ali (batterie) + Steve Knoblauch & Arnold Joyner (saxophone alto) ; Umar Ali, Robert Kenyatta & Charles Brown (conga) ; Angie DeWitt (tambour bata).

John Coltrane and the End of Jazz

by Dominic Green

August 26, 2018

Putting his classic quartet’s ‘lost album’ in its context.

The Renaissance, taking man as the measure of all things, produced music for soloists. The Age of Revolutions, gestating democracy and the nation at arms, expressed its collectivism in orchestral music. The 20th century saw the triumph of capitalism, eventually, and the musical format of the market economy was the quartet. A quartet is the cheapest way to mimic an orchestra’s range. Ringo plays the rhythm, Paul holds down the bass, John adds the chords, and George does the decorations. The logical consequence, economically if not musically, was for all four members to sing a bit and write their own tunes. Hence the Beatles, self-contained and self-commodified, with a little help from their friend Brian Epstein.

In the modern arts, the quartet is the format of late style. The economy here is more aesthetic than financial, though it might be significant that Beethoven, the first major composer to make a living without patronage, was also the composer who hit upon the quartet as the arena for technical speculation. The quartet format allows the artist to cover the bases of rhythm, harmony, and melody, but it also leaves plenty of open spaces. The laboratory of Beethoven’s five last quartets incubates a century of harmonic experiment. T.S. Eliot’s Four Quartets are a titration, an apocalypse that returns art to religion drip by drip, line by line.

The concept of “late style” was formulated in 1852 by Wilhelm von Lenz. He divided Beethoven’s music into an early style, imitative of Haydn and Mozart; a middle style, grand and exhortatory like the Eroica Symphony; and a late style, more private than public, that meditates on eternal questions of form. This concept has the tripartite tidiness of the dialectic; it rests on the Hegelian assumption that musical biography, like secular history, is a progress towards spiritualization. In late style, the Romantic ego, as if preparing for death, turns inward and considers infinity. Inflated further in the politicized criticism of Theodor Adorno and Edward Said, the concept floats under Freudian cover in Harold Bloom’s theory of the “anxiety of influence.”

Jazz was in a sense always a late style, a timekeeper’s music out of time. In the 1920s, while jazz musicians were playing early show tunes and improvising with rudimentary harmony, the Second Viennese School was pushing ahead into total chromaticism and atonality, and Stravinsky, Milhaud, Prokofiev, and Ravel were experimenting with jazz’s musical signature—its fixed pulse, syncopated rhythm, and emphasis on flattened thirds and sevenths. Jazz was modern long before Modern Jazz was named in the 1940s, for the harmonic modernity of bebop was the chromaticism of Liszt, Chopin, and Wagner. In the wider chronology of Western music, jazz’s harmonic development is a long game of catch-up, finished too late—around 1972, when Miles Davis heard Karlheinz Stockhausen for the first time. Davis had already reached the same conclusions as the joyless German but without losing the funk.

No jazz musician incarnates the legend of late style more than the saxophonist John Coltrane. His early style is undistinguished; he was a bluesy sideman whose grasp of the instrument falls short of the reach of his ear. His middle style, stertorous and ambitious, began in his mid-1950s stint with Miles Davis’s quintet. Coltrane in this period is still less melodious than Hank Mobley and less witty than Sonny Rollins, but his chops are catching up with his ear. Only Johnny Griffin has fleeter fingers and only Rollins can beat him for persistence. Coltrane thinks aloud and never stops thinking; he is the perfect foil for Davis, who is also ironic and intellectual, also latent with eroticism and violence, but who never shows his working, only the finished idea. Coltrane’s sound waves are square and heavy, metallic and dark like lead. He is both implacable and lazy, like a bull elephant: You never know where the charge will take him, only that—as he himself admitted to Davis—once he gets going, he doesn’t know how to stop.

Coltrane’s late style emerged in his 1960s quartets. Now leading and writing for his own group, and newly clean of drink and drugs, he was finally able to pursue his vision and the possibilities of the music to the limits of form and expression—and ultimately beyond both. The further he went, the more ambitious and less accessible the music became, until it was incomprehensible to almost all of his audience and even to some of his closest collaborators. In the logic of modernism, further means better. But “faster” and “louder” aren’t necessarily better, so why should “further” be the supreme critical value? To judge Coltrane’s late-style art is, in an important sense, to judge modernism itself, and especially American modernism. And we have now an opportunity to listen afresh, with the release this summer of what may well be the last significant studio recordings of Coltrane’s classic quartet, Both Directions at Once: The Lost Album.

Jazz is modernist music, and the jazz quartet the home chemistry kit of modernism. The experiments of Coltrane’s 1960s quartets broke the mechanics of jazz’s classical physics, with its show tunes, its blues, and its endless staircases of chords ascending in fourths. The title of Both Directions at Once alludes to a remark Coltrane made to his successor in Miles Davis’s group, the tenor saxophonist Wayne Shorter. Coltrane said he wanted to play as though jumping into the middle of a sentence, playing a song outward in both directions at once. The passage backward travels from complexity to simplicity; the passage forward travels from further complexity to the simplicity of a final restatement. The simultaneous execution of both moves evokes the mathematical backflips of 20th-century physics—principles of uncertainty and indeterminacy and relativity. “In my end is my beginning,” as Eliot puts it in his rhythmic reflections on time and space in Four Quartets.

Coltrane’s late style began on the legendary Davis album Kind of Blue (1959), and jazz began to die there too. Working in both directions at once, Coltrane erected ever more complex chordal ziggurats while also flattening the structures of the music back into the formless modal void. After departing the Davis group and signing as a solo artist to Atlantic Records, in 1960 Coltrane created the new chordal landscape of “Coltrane changes” with Giant Steps: Rather than returning to the home key by the traditional cycle of fourths, Coltrane shifted the tonal center by major thirds. Musicians call this challenge to mind, ear, and fingers the “Three Tonic” system.

Coltrane somehow found musicians capable of following him and meshing. His classic quartet—with drummer Elvin Jones, pianist McCoy Tyner, and bassist Jimmy Garrison—remains the heavyweight champion of jazz quartets.


This revolution had been incubating in plain sight, and in some very traditional places. Gershwin’s “I Got Rhythm” (1930), the locus classicus of the cycle of fourths that became a nervous tic in bebop, makes the major-third jump when it enters the bridge, only to return to the home key by a steady sequence of fourths. “Have You Met Miss Jones?” (Rodgers and Hart, 1937) and “I Remember You” (Victor Schertzinger and Johnny Mercer, 1941) also use major-third shifts. Coltrane himself experimented with major-third shifts in a 1956 recording with Davis, “Tune Up.” In the 16-bar sequence of “Giant Steps,” Coltrane made 10 major-third shifts, all set up with two-step chromatic substitutions in fourths, as if to remind us how far we have come. And he played this as fast as possible—too fast for most players: The tonal center changes about every eight beats and it starts to shift after only two beats. Just as your mind and ear find their balance, the harmonic floor gives way beneath your feet. Coltrane hammers through these changes with barely a pause for breath.

Jazz could not get any faster, but it could get louder and deeper. Somehow, the runaway Trane found like minds, capable of following him and meshing with each other. He now had the polyrhythmic fury of Elvin Jones on drums and the weirdly calm McCoy Tyner on piano. Coltrane had taken up the straight soprano saxophone, apparently because he liked Sidney Bechet, but perhaps also because its snake-charming sound fitted his growing interest in pushing the modal envelope into non-Western musics. Coltrane had the studio time and tape to play with, too, after having an unlikely hit in 1961 with a modal take on Richard Rodgers’s “My Favorite Things,” in which the rhythm section’s heavy vamp and Coltrane’s oriental noodling evoke images of the von Trapp family on the nod in Marrakesh. The addition later that year of bassist Jimmy Garrison stabilized the classic Coltrane quartet. This is the unit that we hear on Both Directions at Once, and it remains the heavyweight champion of jazz quartets.

Impulse Records calls Both Directions at Once a lost album, but it isn’t an album and it wasn’t really lost. Nor, despite Coltrane’s interstellar motifs and spatial excursions, has it fallen from the heavens. It has emerged from the attic of Coltrane’s first wife, Naima, as an “audition tape” whose master tape was either lost or destroyed. It was recorded all in one day at the studio of Rudy Van Gelder. In the fifties, Van Gelder had created the Blue Note sound by building a high-ceilinged extension to his house in Englewood Cliffs, New Jersey, nailing the drums to the floor and running a jazz group through spring-reverb amplifiers the size of refrigerators. Apart from recording Coltrane’s only Blue Note album, Blue Train (1958), Van Gelder also recorded several Coltrane albums for Prestige Records, whose less-polished sessions were a notorious source of cash for drugs.

In 1961, Impulse Records bought Coltrane’s contract from Atlantic and Coltrane and Van Gelder were reunited. Like candidates for the fifth Beatle, there are several candidates for fifth member of Coltrane’s quartet. Coltrane even expanded it into a five-piece with a couple of prospects, saxophonists Eric Dolphy and Pharoah Sanders—the former a subtle altoist who combined Coltrane’s changes with Adderley’s swing, the latter a rootin’, tootin’ tenor honking his way into psychedelic religion. But Van Gelder was more important to the quartet’s development. His church-like space was just right for Coltrane’s increasingly spiritual aspirations, much as Studio 2 at Abbey Road was to become ideal for the Beatles’ orchestral ambitions.

Cover of ‘Both Directions at Once: The Lost Album’


Both Directions at Once lacks the finished Van Gelder sound, but you can still hear the Van Gelder space. You can also hear the moment in time, which is what jazz is all about. This is not a real “album,” since it is not a premeditated sequence of songs. In his liner notes, Sonny Rollins compares the recovery of the session tape to “finding a new room in the Great Pyramid.” It is—but the room is a storeroom, or an attic. The music stands in relation to Coltrane’s official studio and live recordings as Keats’s letters do to his verse. It illuminates not just the mind of its creators but also the meaning of their work. Like Coltrane with his changes, Both Directions pushes the concept of late style to breakdown.

As the meaning of each note depends on its harmonic setting and its placement in the chain of melody, so the significance of this newly released recording derives in large part from its place in Coltrane’s chronology. On March 6, 1963, the day Both Directions was recorded, the quartet was approaching the end of a two-week stand at the Birdland jazz club in New York City. That night’s performance would be recorded, and three tunes from those tapes would be issued in April 1964 on the Live at Birdland album. (A fourth, “Vilia,” was eventually included in the Live at Birdland CD reissue.)

More broadly, Both Directions was recorded during a stretch of time in which Coltrane made a trio of albums touching the past and the future of music. On Ballads, recorded in late 1961 and early 1962 but not released until March 1963, Coltrane palpates the most romantic of formats, then turns the diaphanous material of pop harmony inside out, revealing a scorched metallic skeleton. On Duke Ellington & John Coltrane, recorded in September 1962 and released in February 1963, Coltrane made an extended and respectful bow to the first and last jazz composer. And the day after recording Both Directions, Coltrane’s quartet was booked into Van Gelder’s studio to begin recording an album with the crooner Johnny Hartman. The motive for this trio of retrospective records may have been producer Bob Thiele’s attempt to find a hit to follow “My Favorite Things.” But that doesn’t really matter. The Coltrane quartet is playing an art form in the process of self-dissolution. From phrase to phrase, and sometimes within the same phrase, Coltrane teeters between homage and sabotage, articulacy and noise.

The passage of time allows us to hear Both Directions at Once in both directions at once. We look back and trace Coltrane’s development from bop to modal to free jazz. We look forward and anticipate the quartet’s further development in Crescent (1964) and even its final expression, A Love Supreme (1965), the spiritual concept album that leads to the transcendentally incoherent music of the last two years of Coltrane’s life. And we cannot but wonder whether Coltrane’s late style really expresses the same drive towards an apogee that Lenz heard in Beethoven or whether the discharge of energy fizzled away, and if so, when.

B oth Directions at Once contains seven tracks from the daytime session in Englewood Cliffs, with a further seven alternative takes on a second CD in the deluxe edition. The alternative takes are only a little less superfluous than usual. We hear Coltrane varying his solos and the trio responding, but it is clear why the album’s compilers, record producer Ken Druker and Coltrane’s saxophonist son Ravi, relegated the alternative takes to the second disc. Further, two of the seven “master” tunes, “Nature Boy” and “Impressions,” are themselves alternative takes on recordings Coltrane released during his lifetime.

“Nature Boy,” written by the proto-hippie Eden Ahbez and most famously recorded in 1948 by Nat King Cole, is fresh and lively, with a feel anticipating the Crescent sessions of early 1964. But the version we already have from early 1965, recorded after the watershed of A Love Supreme, and with Art Davis on bass, is more developed and will remain definitive. The value of this early version is its hint that A Love Supreme is not the revolutionary breach that the critics describe but rather a cohesive summary of the developments that Coltrane had pursued since 1960—an end, not a beginning.

Opinion varies as to the definitive version of “Impressions,” Coltrane’s splicing of the modal sequence of Miles Davis’s “So What” with a theme from the composer Morton Gould. In the 1961 Live in Stockholm recording, Coltrane developed his solo with unusual economy from mellifluousness to fury, only for Dolphy’s alto to pour like honey from the rock. In July 1963, the quartet, with Roy Haynes subbing on drums, recorded an incandescent, chaotic version at the Newport Jazz Festival. In December 1963, recording a live set for Ralph Gleason’s Jazz Casual TV show, Coltrane looked at his sax, played five quick quavers, and the trio crashed into gear, already in the groove at top speed, to give one of the most synergetic recorded performances in jazz history. The version here, and the variations on the bonus disc, add little to our understanding of “Impressions.”

Now for the originals—two tracks that haven’t been heard elsewhere and have been named here for the slate numbers assigned by the studio producer. “Original 11383” is a fast and furious blues number. The chord changes are so heavily overwritten with modality that among the early reviewers, only the pianist Ted Gioia noticed it was a blues piece at all. Again, the suspicion that A Love Supreme is a summing-up is hinted at by the way the pushed emphases in “Original 11383” anticipate “Pursuance,” the third section of A Love Supreme. Meanwhile, “Original 11386” is Latin-inflected, with the stops and structures of fifties hard bop and Coltrane pushing against form with slow belligerence. As you can see the career of Henry Moore foreshadowed in a single Picasso sculpture, so you can hear in Coltrane’s soloing on this track a foreshadowing of the calmer, melodious Pharoah Sanders of the 1980s, in particular Sanders’s “Africa.”

As early as 1961, pianist McCoy Tyner had taken to dropping out when Coltrane’s solos slipped the bonds of chordal harmony. Bassist Garrison often followed when he could no longer find the tonic note. This produced epic saxophone and drum duels between Coltrane and Elvin Jones that, curiously, anticipate the rock theatrics of Pete Townshend and Keith Moon, or Jimi Hendrix and Mitch Mitchell. On “One Up, One Down,” the modal pounding is so heavy that Tyner drops out at the one-minute mark. In 1965, Tyner and Jones were to drop out of the quartet entirely, with Tyner unable to find a niche for his chords and Jones, who understood the difference between music and “a lot of noise,” convinced that Coltrane had slipped into making the latter.

Tyner’s tight, swinging piano on “Slow Blues” is firmly in the fifties, and this pulls Coltrane back into his Prestige Records style. You can also hear how the quartet’s spacious ambience and emotional intensity allowed Coltrane to recharacterize blues phrasing as spiritual questing. The suspended 11th chord calls for redemption by demanding resolution; the sharp 11th is the discord of the soul in torment.

The most valuable track here is the oldest composition. “Vilia” is a theme from Franz Lehár’s Merry Widow. The legend of Coltrane as avant-garde visionary sits uneasily with his pursuit of Habsburgian jollities. But the chronology of jazz sits awkwardly with the modernist ideal of the avant-garde. Jazz harmony developed chronologically but, unlike the developers of classical harmony, the developers of jazz harmony lived in the same period. The generations could and did play together, as Ellington and Coltrane did in 1962. On “Vilia,” the quartet minds its manners as it had done on Ballads and Duke Ellington & John Coltrane, and as it would do the next day with Johnny Hartman. Coltrane’s tenor solo follows the ancient course, the conventional and very difficult path of finding phrases with one foot in the blues and the other in the chord changes. You can sense the storm that might break out at any moment, but Coltrane’s restraint intensifies the impact.

There are many testimonies to American loneliness, and the blues might be the greatest of them. There are fewer testaments to American compendiousness. Coltrane’s quartet is the Moby-Dick of American popular music, with Coltrane still wailing in the depths when he died in 1967. By then, he would no longer be playing popular music. After A Love Supreme, his music bore little relation to the folk music and show tunes from which it had sprung. It became abstract and theoretical, and though it abounds in sincere emotion, there is something false about its donning of mock-African and mock-Asian styles, something overly plodding and earnest in a pastiching that Ellington had done with such light and ironic style in the Cotton Club. Unbounded space becomes mere formlessness.

The English saxophonist Ronnie Scott used to tell a joke about a man who goes to a pet shop in search of a singing parrot. The proprietor turns out to have three in stock. The first and cheapest parrot is a richly plumed specimen that can sing all of Louis Armstrong’s solos. The second is in equally splendid condition, but costs more, because he can sing all of Charlie Parker’s solos. The third is blind, can barely stand on his perch, and has lost most of his feathers. But he costs more than the other two birds combined.

“What does this one sing?” the customer asks.

“I don’t know,” says the proprietor, “but the other two call him ‘Maestro.’”

Most of the people who play jazz view Coltrane’s late period like the proprietor regards his parrot, with baffled respect. We see how he expressed the inner logic of the music, because we have the luxury of hindsight. We applaud the giant steps of harmonic invention that took him there—and admire the quasi-religious devotion that got and kept him there. But hardly any of us go there, and even most saxophonists only visit. The late style of jazz isn’t at the heart of our repertoire in the way that Beethoven’s late quartets and Eliot’s Four Quartets are in their fields. For most jazz musicians, it’s Coltrane’s middle style, rooted in the Modern Jazz of the early forties to the late fifties, that strikes the desired balance between form and content, tradition and deviation. We talk about the “Coltrane changes” more than we play them, and we tend to play them in their milder iteration by Richard Rodgers.

The fact that this 55-year-old recording is the year’s most significant jazz release tells you all you need to know about the health of jazz in 2018.


People who write about jazz tend to place the late style at the top of the pile—but what do they know? Most of them cannot play the music and many of them cannot understand the technicalities. Lacking practical understanding, they fall back on fashion and the hagiographic assumption that if progress is good, then late is great. I am not alone in feeling that, as works of art, Beethoven’s Fifth and Seventh are more successfully realized than his Ninth. Nor am I alone in finding the formal asceticism of Four Quartets less satisfying than the grab-bag of The Waste Land. I have also noticed that when someone claims that Finnegans Wake is better than Ulysses, you should stand by for an act of intellectual imposture. The story goes that Coltrane was using LSD after 1965. If so, then the overreach and incoherence of his final music, and his mingling with admiring but inferior talents like Alice Coltrane, the Yoko Ono of jazz, suggest that Coltrane might be the sixties’ first and foremost acid casualty, flailing out rather than flaming out, the peak of his late style already behind him.

The test of a jazz musician isn’t a facility for imitating terminal Coltrane, but for emulating the blues, finding an individual voice within the chordal and harmonic framework, and playing it with feel. That is what Coltrane and his late quartet are doing on much of Both Directions at Once, though they’re doing it at such intellectual altitude that you don’t notice it most of the time. But the blues is what they’re playing, even when they’ve exchanged chords for modes. That you can’t tell half the time shows that this is the sound of an art form at its furthest extension, which is also the moment of its collapse.

The fact that this 55-year-old recording is the year’s most significant jazz release tells you all you need to know about the health of jazz in 2018. The only real argument is about the clinical symptoms of jazz’s death and when it happened. It would be wrong to claim that jazz died with Coltrane in 1967, the year that rock cemented its takeover at Monterey. For one thing, many of jazz’s inventors were still going. Louis Armstrong, the first of the master soloists, had his biggest hit, “What a Wonderful World,” in 1967. Duke Ellington, the Debussy of the big band, was in 1967 preparing the second of his three “Sacred Music” concerts. And in 1967, jazz still contained the seeds of at least two of its final evolutions. The trumpeters Miles Davis and Donald Byrd had yet to form their electric bands, with Davis heading toward bleary oblivion and Byrd toward the dance floor. But Armstrong’s pop hit was orchestral, Ellington’s band always had been orchestral, and the crowded studios and thick textures of Davis’s In a Silent Way and Byrd’s Places and Spaces were, in their disorderly ways, orchestral too. None of this music was played by acoustic quartets.

The quartet had been the standard working unit in jazz since the 1930s. But by 1965, when Coltrane recorded the group improvisation of Ascension with 10 musicians and no sheet music, the quartet could no longer support the music’s technical and textural development. Nor could acoustic instruments. With the exception of the Hammond organ and Leslie speaker, jazz had electrified in order to make the stringed instruments audible rather than to reshape the sonic palette. Miles Davis tipped the balance towards electricity in 1968, with Miles in the Sky, and he kept tipping it, until he was playing through a wah-wah pedal with an all-electric rock band.

The assumption that it was the musician’s task to develop the music reveals how deeply jazz was soaked in the forms and assumptions of European art music. A Balkan folk musician or a West African griot doesn’t seek to push his people’s music forward technically but to imitate it and preserve their sonic memory. But a jazz musician, like a classical composer, has the modern itch. Imitation is not enough; he must go beyond his sources. He pursues formal development for its own sake and believes in progress. Jazz didn’t exactly die with Coltrane, but he certainly helped to kill it. No one (apart from Miles Davis) read its inner logic so clearly. No one did more to pulverize show tunes and the blues into stardust. Arguably no one did more to reunite secular Western art with religion, which is where secular Western art came from and what it had been striving to rejoin ever since it left. And no one (again apart from Miles Davis) did it better.

Coltrane’s late style peaks between 1961 and 1963, when he can make and unmake the music with equal facility. The rest should have been silence, but the inner logic of the music’s development made it noise. He crossed that threshold six months after the Both Directions session. In September 1963, Klansmen firebombed the 16th Street Baptist Church in Birmingham, Alabama, killing four black girls. Coltrane’s response, “Alabama,” is a mournful, angry dirge whose phrases evoke the cadences of Martin Luther King Jr. The version that Coltrane’s quartet recorded at Birdland in November 1963 is the last blues, the end of jazz in its beginning. After “Alabama,” jazz would never again be so close to its origins, while its sound would only get further away from them.

So Both Directions at Once sounds both antediluvian in form and avant-garde in content. In March 1963, three weeks after the Beatles have recorded their first album, an acoustic quartet wrestles with harmonies and values that Elvis and Chuck Berry have already consigned to the past. As this recording approaches the summit of late style, it becomes the apogee of modernism’s last style. For it is a sad fact of musical history that after Coltrane, there was nothing left to say on the saxophone. But Kenny G said it anyway.

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18/07/2023

Un concert inédit de John Coltrane !

En août 1961, le John Coltrane Quintet s'est produit au légendaire Village Gate de Greenwich Village, à New York. Le Classic Quartet de Coltrane n'était pas encore aussi bien établi qu'il le deviendrait bientôt, et le cinquième membre du groupe de Coltrane, Eric Dolphy, multi-instrumentiste visionnaire, faisait une entrée fulgurante dans le groupe ce soir-là.
Quatre-vingt-dix minutes de musique inédite de ce groupe ont été récemment découvertes à la New York Public Library for the Performing Arts, offrant un aperçu d'un partenariat musical puissant qui s'est terminé bien trop tôt. Outre des morceaux bien connus de Coltrane ("My Favorite Things", "Impressions", "Greensleeves"), on y trouve une prestation époustouflante de la clarinette basse de Dolphy sur "When Lights Are Low" et le seul enregistrement non studio connu de la composition de Coltrane "Africa", tirée de l'album Africa/Brass.
Cet enregistrement représente un moment très spécial dans le parcours de John Coltrane - l'été 1961 - alors que sa signature, son son live extatique, communément associé à son Classic Quartet de 62 à 65, commençait à mûrir et qu'il puisait son inspiration dans des sources africaines profondes - et expérimentait l'idée des deux basses à la fois en studio (Olé) et sur scène. Cet enregistrement rarissime de "Africa" témoigne de sa vision expansive de l'époque.
Tracklist:
1. My Favorite Things
2. When Lights Are Low
3. Impressions
4. Greensleeves
5. Africa

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