Charlie Haden

Dernière mise à jour : 04/06/2020

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Le contrebassiste Charlie Haden, pionnier du free avec Ornette Coleman et compagnon de route de Keith Jarrett, était né le 6 août 1937 dans le Missouri ; il a succombé le 11 juillet 2014 à une longue maladie. Il était âgé de 76 ans. Ce n'était peut-être pas un virtuose comme un Scott La Faro ou un Marc Johnson, mais il a joué un rôle capital dans le jazz contemporain, notamment en accompagnant très jeune Ornette Coleman à la fin des années 50, après un combat victorieux contre sa dépendance à l’héroïne. En outre son jeu communique une émotion rare, en développant un style très libre.
La contrebasse de Haden a un son solide, épais, un des plus riches de l'histoire du jazz. Rares sont ceux qui, comme Haden, parviennent à communiquer autant d'émotion. Au cours de sa longue carrière, il a collaboré avec de nombreux artistes. Mais c'est avec son "Liberation Music Orchestra" fondé en 1969 qu'il restera à coup sûr dans l'histoire.

The Liberation Music Orchestra

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Dès 1964, sous l’impulsion de Bill Dixon une association regroupant des musiciens de Jazz est née sous l’appellation Jazz Composer’s Guild. Cette première association fut le lieu où se rencontrèrent les musiciens fondateurs de la J.C.O.A (Jazz Composers Orchestra Association), qui se réorganisèrent lorsque la Jazz Composer’s Guild commença à battre de l’aile. Mike Mantler et Carla Bley fédérèrent ce renouveau autour d’un grand orchestre auquel participèrent un grand nombre de musiciens venus du Free Jazz.

La liste des musiciens qui participèrent à ce bouillonnement créatif est énorme et impossible à lister. Mais l’un des musiciens les plus actifs à l’intérieur de ce mouvement est certainement Charlie Haden. C'est à la Jazz Composer Guild Association qu’il rencontre Carla Bley et les principaux protagonistes qui formeront le Liberation Music Orchestra à partir de 1969. Charlie Haden est un militant très ancré à gauche ; il s’engage pour les droits civiques et contre la guerre du Viêt Nam.

La pochette donne le ton : treize musiciens alignés sous une banderole, encadrés par Carla Bley et Charlie Haden. La posture est militante et revendicative à l’image du contenu. Bouleversé par le film « Mourir à Madrid » de Frédéric Rossif et sensibilisé aux chants républicains de la guerre civile espagnole, Charlie Haden se les approprie et en propose sa propre interprétation; de courts documents sonores d’époque s’intègrent à certains moments dans l’album, concourant à l’authenticité de la démarche.
Ces mélodies populaires fixées dans l’inconscient collectif, véhiculant la nostalgie des luttes passées, des révoltes et de l’engagement individuel, cristallisent une folle énergie que catalysent les parties collectives orchestrées par la pianiste. Il souffle un vent de liberté sur tout l’enregistrement, et les arrangements donnent une rare puissance à la beauté de ces chants portés par un lyrisme et une authenticité que sublime l’interprétation qui en est donnée.

Quatre des chants sont directement liés aux brigades Internationales engagées pour la défense de la démocratie lors de la guerre civile espagnole de 1936 : « Song of the United Front » chant de travail écrit sur des paroles de Bertolt Brecht, « El Quinto regimento » (Le cinquième régiment), condensé de deux airs tirés du folklore dont l’un inspira Coltrane pour son album Olé. « Los Quatro generales » et " Viva la Quince Brigada" sont réinterprétés avec des paroles qui portent leur poids d’histoire.

Outre Carla Bley qui assure l’orchestration et signe l’énergique et martiale Introduction ainsi que The Interlude, on peut entendre Gato Barbieri au meilleur de sa forme, éraillé et tonique sur Viva la Quince Brigada, Don Cherry dont le cornet semble batailler, poussé par l’orchestre sur El Quinto Regimento, Roswell Rudd inventif, libéré, Dewey Redman sur War orphans signé Ornette Coleman, et Sam Brown à la guitare qui improvise sur le folklore espagnol et colorise ainsi l’album lors de chacune de ses interventions.

Song for Che est bien entendu dédié à Che Guevara, assassiné en Bolivie avec l’aide de la CIA, on peut y reconnaître une citation d’Hasta Siempre chanté par son auteur Carlos Puebla. Celui-ci, sollicité par Charlie Haden pour lui demander l’autorisation d’utiliser sa composition, lui répondit : « Ici, à Cuba, la musique n’appartient à personne, elle est au peuple. Vous pouvez l’utiliser. » Suite à l’interprétation en 71 de Song for Ché lors d’un concert au Portugal, dédié aux opposants à la dictature, Charlie Haden sera arrêté et interrogé par la Police Secrète. Depuis, ce titre est devenu un classique du groupe, qui l’interprète à chacun de ses concerts.

Circus ‘68 ’69 a été écrit pour évoquer la convention démocrate qui se déroula dans les rues de Chicago et qui vit des militants ayant organisé une manifestation contre la guerre du Vietnam se faire violemment matraquer par la police du maire Daley.
« We Shall Overcome » est un gospel qui fut chanté à la façon d’un hymne lors de ces manifestations pour l’égalité des droits civiques et contre la guerre du Vietnam.

La publication de l’album sera également un combat, finalement la compagnie Impulse ! le sortira, mais sans promotion, le vinyle est resté longtemps confidentiel.

Liberation Music Orchestra : The Ballad of the Fallen

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En 1982 paraît The Ballad of the Fallen, reformation du Liberation Music Orchestra. Loin d’être un pâle remake du premier disque, celui-ci est un requiem dédié aux victimes des guerres sud-américaines (Chili, Salvador) ainsi qu’aux martyrs de Franco.

A l'époque, l'administration Reagan soutenait la Contra dont les escadrons de la mort faisaient des dizaines de milliers de morts et parrainait secrètement les régimes dictatoriaux.

Els Segadors (Les moissonneurs), un chant de révolte de la guerre civile espagnole qui deviendra plus tard un hymne pour la République catalane, commence par une sombre élégie pour les cuivres.
The Ballad of the fallen
est un chant salvadorien déchirant dans lequel sont en avant Charlie Haden et la guitare acoustique de Mick Goodrick. Le texte du chant a été découvert sur le corps d'un étudiant manifestant tué par les militaires lors d'un sit-in. Introduction To People est une compoosition de Carla Bley qui introduit The People United Shall Never Be Defeated, l'hymne des combattants de la liberté chiliens plus connu sous son titre original El Pueblo Unido Jamas Sera Vencido.
Silence est la seule - magnifique - composition de Charlie Haden.
Too Late, composé par Carla Bley, commence par un duo recueilli piano/basse puis les cuivres majestueux font leur entrée. Goodrick introduit La Pasionaria, dédiée à Dolores Irraburi. Le chant catalan La Santa Espina retrouve l'ambiance martiale du début avec des cuivres puissants.

Par rapport au disque précédent, les improvisations libres (principalement dues à Don Cherry et Dewey Redman) se font plus rares. Une œuvre moins free, mais plus accessible et finalement plus aboutie que le premier.

Liberation Music Orchestra : Dream Keeper

Le troisième album, Dream Keeper, d’après un poème antiraciste de Langston Hughes, est un peu moins réussi, mais Sandino, magnifié par les arrangements de Carla Bley, est une merveille.

Liberation Music Orchestra : Not in our Name

Le dernier album, Not in our Name, répond à la nécessité ressentie par Haden de dénoncer la politique de George Bush. Charlie Haden et Carla Bley ont organisé l'album autour des valeurs fondamentales de l'Amérique, celles qu'ils défendent contre toutes les récupérations - d'où les titres des deux premiers morceaux : Not in our Name et This is not America. Si cet album est en retrait par rapport aux précédents, il présente tout de même quelques excellents solos de Chris Cheek, Tony Malaby et Michael Rodriguez.


«Il n'existe pas et il n'existera jamais un contrebassiste comme Charlie Haden». C'est en ces termes élogieux que Keith Jarrett évoquait récemment son vieux partenaire, qu'il avait retrouvé après trente ans de brouille le temps de deux albums, Jasmine, en 2008, et Last Dance, paru en 2019. Dans la bouche du pianiste connu pour son caractère difficile - le public de la salle Pleyel en a dernièrement fait les frais - ces louanges ont valeur de glorieuse épitaphe. Au-delà de Jarrett, c'est toute la communauté jazz qui pleure aujourd'hui un de ses géants, que l'on savait atteint depuis quelques années d'une grave maladie, disparu vendredi 11 à Los Angeles.

En 2010, l'homme sortait un dernier album comme leader, enregistré avec le concours de plusieurs chanteuses: Diana Krall, Norah Jones ou Renée Fleming. Un retour aux sources pour cet homme dont le premier instrument a été la voix. Charlie Haden a en effet passé son enfance à chanter, notamment des thèmes de country music, au sein du Haden Family Band. Il n'a que deux ans lorsqu'il se produit pour la première fois sur les ondes de la radio, dans le show de ses parents. Aujourd'hui, ses propres enfants poursuivent eux-mêmes des destins musicaux, comme son fils Josh, leader du délicat groupe Spain. Et ses trois filles s'illustrent au sein de différents projets. «Vous savez, je ne suis que le maillon d'une chaîne qui a commencé avec mes ancêtres et se poursuivra, je l'espère, sur plusieurs générations», nous expliquait-il, modeste, en 2010.

Atteint de polio, il doit renoncer à chanter

C'est pourtant dans l'avant-garde que cet improvisateur de génie s'illustrera le mieux. Atteint de polio, il doit renoncer à chanter et se met au jazz en empruntant la contrebasse de son frère. Après ses premiers pas, en 1957, aux côtés d'Art Pepper ou Paul Bley, c'est aux côtés d'Ornette Coleman qu'il mettra au point une approche révolutionnaire de la contrebasse. La résidence de cinq semaines du Coleman Quartet au Five Spots Café en 1959 de New York marquera le début du free-jazz. Las, un an plus tard, Haden est forcé de quitter la formation en raison de sa dépendance à la drogue. Après une cure de désintoxication, il rejoue avec des prestigieux noms avant de retrouver Coleman jusqu'au début de la décennie 1970. Avec Paul Motian et Dewey Redman, il complète le Keith Jarrett trio entre 1967 et 1976, développant plus avant les méthodes d'improvisation du leader.

Son Liberation Music Orchestra, avec Carla Bley, très expérimental, apporte une touche politique et engagée. Sur leur premier album, ils se consacrent à des thèmes de la guerre civile d'Espagne. Haden fait de l'orchestre le véhicule de la parole des opprimés, en pleine guerre du Vietnam. Il dénonce l'oppression des régimes militaires de l'Amérique du Sud et l'apartheid sud-africain avec véhémence, au cours de tournées qui se prolongent dans les décennies 1980 et 1990. En formant le Quartet West, en 1987, Haden se consacre à un autre versant du jazz, avec des arrangements de thèmes des années 1930 et 1940 puisés dans la chanson populaire ou le cinéma noir .

Il développe par ailleurs une série de cours de musique dans le cadre du California Institute of the Arts. Parmi ses élèves: Ravi Coltrane (sax), Ralph Alessy (trompette) et Scott Colley (basse).

En 2008, le contrebassiste revient à ses racines country en publiant l'album Rambling Boy, assemblé avec les membres de sa famille. En 2009, un documentaire du même nom lui est consacré. C'est à la faveur du tournage de celui-ci qu'il retrouvera Keith Jarrett. Il renoue aussi avec Ornette Coleman le temps de quelques concerts, et enregistre avec le pianiste Hank Jones et Kenny Baron. Cet homme empreint de spiritualité et de militantisme, qui a sorti la contrebasse de son rôle d'accompagnement, laisse une empreinte de géant.

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Discographie sélective :

Sous le nom de Charlie Haden

* Liberation music orchestra, 1969, Impulse !
* Duets, 1976, A&M
* The ballad of the fallen, 1983, ECM
* Always say goodbye, 1987, Verve
* Silence, 1987
* Etudes, 1987
* In Angel City (Quartet West), 1988
* The Montreal Tapes, 1989 (Liberation Music Orchestra)
* The Montreal Tapes, 1989 (avec Egberto Gismonti)
* The Montreal Tapes, 1989 (avec Joe Henderson et Al Foster)
* Dream Keeper, 1990 (Liberation Music Orchestra), Polydor
* Night and the City (avec Kenny Barron)
* American dreams, 2002 (avec Michael Brecker)
* Nightfall, 2004
* Land of the sun, 2004
* Not in our Name (Liberation Music Orchestra), 2005
* Heartplay, 2006

Sous le nom de Ornette Coleman

* Change of the century, 1959, Atlantic/Warner
* The Shape of jazz to come, 1959, Atlantic/Warner
* Song X, 1985, Geffen

Sous le nom de Old and New Dreams
* Old and new dreams, 1979, ECM

Sous le nom de Keith Jarrett
* Keith Jarrett, (1966-1971) collection Warner Jazz Les incontournables

Sous le nom de Haden-Garbarek-Gismonti :

* Folk songs,1979, ECM
* Magico, 1980 

Avec Pat Metheny :

* Beyond the Missouri sky, 1997 

missouri

Site : https://www.charliehadenmusic.com/

Un bel article de Francis Marmande sur Charlie Haden dans Le Monde du 31 mars 2010 :

La rigueur tellurique du contrebassiste Charlie Haden

Charlie Haden, contrebasse des Amériques, présent sur deux cent cinquante-quatre albums, de John Coltrane à Keith Jarrett - un album en duo, Jasmine, chez ECM, le 3 mai - en passant par Chet Baker, Archie Shepp ou Art Pepper, son premier mentor. Charlie Haden, auteur avec Carla Bley de la fantastique utopie musicale des années 1970, le Liberation Music Orchestra. Charlie Haden, compagnon des tout premiers quartets d'Ornette Coleman - alto pionnier du free jazz. Charlie Haden reprend la route avec son Quartet West, fondé en 1984, version 2010 : Ernie Watts (ténor), Alan Broadbant (piano) et Rodney Green (batterie). La formation passera par la France, au Grenoble Jazz Festival, le 2 avril.

Pas de contrebasse ? Mais si, justement, lui, Charlie Haden, ses lunettes lunaires d'adolescent abasourdi, son corps debout enveloppant l'instrument, souvent abrité sous une cage de Plexiglas pour protéger l'oreille, sept vies de musicien, un son inimitable. Un son de cathédrale, une lenteur, la sculpture de chaque note, des tics délicieux, cet amour aigu des graves, la soif de l'harmonie, une rigueur tellurique.

Eh quoi ? Il ne sait pas s'envoler, virevolter, monter et descendre le manche à la vitesse des formule 1 ? Revenons au Los Angeles des années 1950. Charlie Haden, petit Blanc parmi les Blancs, vient de quitter les ciels à peindre du Missouri pour suivre Miles Davis et John Coltrane de ville en ville. Il en est tétanisé. Il garde ce côté villageois de n'aimer que les villes et prend toujours sa place au premier rang. Il est âgé de 15 ans. Dans un club, un soir, il découvre, stupéfait, Ornette Coleman, saxophoniste alto novateur, qui en aura bien bavé avec ses idées d'avant-garde. Le voit se faire lourdement lourder par Gerry Mulligan, saxophoniste baryton de luxe. Inutile d'insister. Haden a toujours dit : "De toute façon, jamais je ne connaîtrai, de près ou de loin, ce qu'un Afro-Américain a enduré sur terre."

Haden a l'air gauche. Haden est de gauche. Haden philosophe croit la musique capable de changer le monde. Haden n'est pas idiot. Haden a connu les pénitenciers. Haden a fréquenté le "singe", l'héroïne, ce poison mortel qui donne des idées trop vives. Quand il voit Ornette Coleman au trottoir, son air si doux, si simplet, son cheveu sur la langue, son accent du Texas, Haden se présente. Quatre jours et quatre nuits, ils jouent ensemble.

Charlie Haden fait partie avec son alter ego Scott LaFaro du double quartette qui en 1960 enregistre avec Coleman, Eric Dolphy et Don Cherry l'album-manifeste, Free Jazz. Couverture, Jackson Pollock. Mesure-t-on l'acte ? Non ? Réception ? Un torrent de boue, force insultes scatos, inutile de trifouiller les archives, même en France, ce serait gênant.

Ce qui est passionnant, ce sont les deux parties de contrebasse liées comme des lianes, celle de Charlie, profonde, grave, lente, lourde. Celle de Scottie, ailée, aérienne, gracieuse comme un vol de planeur. Et vous savez quoi ? Ils se passent la main sur les quatre notes fixes du cordier, comme un don, un geste, une amitié. Ils habitaient alors ensemble. Scott LaFaro se tue dans un accident d'auto, à 24 ans. Le virtuose, c'est lui. Haden, grave, paysan, confiant dans la révolution, c'est l'autre. Or retenons ceci. Le soir, pour gagner 4 dollars et par amour de la musique, ils jouaient, l'un et l'autre qui s'aimaient tant, dans deux clubs différents. A la pause, c'est "Scottie", le véloce, qui sautait dans un taxi. Pour filer où, grands dieux ? Il filait au club où jouait "Charlie", juste pour l'apercevoir, le saisir, ne fût-ce qu'un quart d'heure.

Charles Edward "Charlie" Haden est né dans une tribu de musiciens tendance country de Shenandoah, Iowa, le 6 août 1937. Son frère joue la contrebasse : "A la maison, on ne faisait que de la musique. Mes parents chantaient dans le genre de la Carter Family ou des Delmore Brothers. Tous les gosses jouaient et chantaient." Lui, Little Charlie, à 22 mois, il fait ses débuts à la radio : "J'inventais les harmoniques sous ce que me chantait ma mère. On a eu une petite émission de radio. Uncle Carl, mon père et The Haden Family." C'est ce qu'il fait, il continue. Sous la mère.

Son Quartet West raconte des histoires de la Côte ouest. Des histoires simples, des chorus fondamentaux, une exactitude au cordeau. Comme diraient les musiciens, "ça joue terrible". D'accord, mais Charlie Haden, merveilleux compositeur et superbe sideman, ne transmettrait pas, n'aurait pas cet allant, ce charisme ? Allons !

Une nuit à la Mutualité (sono de hall de gare), avec Dewey Redman (ténor à pleurer que le public n'a jamais reconnu), Don Cherry (trompette de poche), Ed Blackwell à la batterie louisianaise, Haden prend un long chorus sur Lonely Woman, d'Ornette Coleman. Une houle est montée, un mouvement de fond, une vague d'applaudissements terrible, venue des ombres hugoliennes de l'océan. Envie de pleurer. Quelque chose finissait, mais quoi ? Ce soir, tous les bassistes de la terre jouent "mieux" que Charlie Haden. Sans doute, mais aucun aussi bien. Et de loin.

Francis Marmande

Un article d'Alain Brunet pour "La Presse" :

Parmi les figures marquantes du Festival international de jazz de Montréal où il s'est produit à maintes reprises, le contrebassiste Charlie Haden est mort vendredi, au terme d'une longue maladie. Il avait 76 ans. La triste nouvelle est venue par son étiquette de disques ECM, reprise entre autres par les magazines Jazz Times et Variety, le quotidien USA Today et le réseau NPR.

Enfant d'une famille d'artistes de style country & western (The Haden Family avait son émission nationale à la radio), le musicien originaire de l'Iowa avait décidé de faire sa vie dans le jazz après avoir entendu Charlie Parker. On peut comprendre le choc.

Installé à Los Angeles au milieu des années 50, il s'était inscrit au Westlake College of Modern Music, ce qui le mena à jouer auprès de musiciens de jazz tel le pianiste Hampton Hawes, les saxophonistes Art Pepper et Dexter Gordon. Il se fit connaître également en tant que sideman du pianiste montréalais Paul Bley, mais surtout au sein du quartette mené par le saxophoniste Ornette Coleman, avec le batteur Billy Higgins (remplacé ensuite par Ed Blackwell) et le trompettiste/cornettiste Don Cherry. Fin des années 50, il était de cette aventure free jazz mise de l'avant par Ornette et participait à certains de ses enregistrements historiques: The Shape of Jazz To Come, Change of the Century, This Is Our Music, Free Jazz...

Fin des années 60, ses convictions progressistes le menèrent à fonder le Liberation Music Orchestra avec des musiciens hautement créatifs, dont l'organiste, claviériste et arrangeur Carla Bley - en juillet 1989, cet ensemble reconstitué avait donné un des plus beaux concerts jamais présentés au FIJM. Charlie Haden était alors le premier musicien en résidence de la prestigieuse série Invitation du festival montréalais.

Le contrebassiste a fait partie du superbe «quartette américain» de Keith Jarrett,  aux côtés du saxophoniste Dewey Redman (le défunt père de Joshua) et du regretté batteur Paul Motian. Après avoir passé un moment sur la Côte Est, il repartit s'installer en Californie pour fonder le Quartet West avec le saxophoniste Ernie Watts, le pianiste Alan Broadbent et feu le batteur Larance Marable. Cet ensemble fut son véhicule principal jusqu'à une période récente.

Charlie Haden a remporté trois trophées Grammy, dont un dans la catégorie «best jazz instrumental performance», remporté de concert avec le guitariste Pat Metheny pour  Beyond the Missouri Sky, album culte s'il en est. En l'an 2000, le Festival International de jazz de Montréal lui avait décerné sa plus haute distinction, le Prix Miles-Davis.

Au crépuscule de sa longue et fructueuse carrière, cependant, il donnait alors l'impression d'être devenu un étrange musicien. Capricieux et hypocondriaque sur scène, systématiquement isolé de ses collègues dans une structure de plexiglas, afin de se protéger de fréquences qu'il jugeait néfastes. En 2009, le concert de son projet country et bluegrass Charlie Haden Family & Friends (avec son fils Josh et de ses filles Tanya, Petra et Rachel) n'avait pas été particulièrement réussi, ses fans présents s'en souviennent.

Mais ils se souviendront surtout d'un contrebassiste visionnaire qui fut parmi les équipées cruciales du jazz contemporain. Malgré une technique qui n'avait rien de mirobolante, la grande musicalité de Charlie Haden, son ouverture d'esprit, son magnétisme et sa direction esthétique l'ont rendu hautement attractif. Il n'y a pas lieu de s'étonner qu'il travaillât auprès des plus grands. Et qu'il fut parmi les plus grands.

Directeur artistique et cofondateur du FIJM, André Ménard parle d'un «homme fragile, sensible, parfois difficile».

«Son coeur énorme et triste embrassait large. La vie, son art, sa famille. Tout. Ses nombreuses convictions musicales et esthétiques l'ont fait cheminer avec passion du free au cool en passant par le jazz standard, le gospel, les hymnes de libération... et bien plus! Je garde de lui des souvenirs impérissables... L'appel d'adieu qu'il m'a fait il y a quelques semaines résonnera toujours en moi. Il a fait grandir l'amour de toute la musique chez des légions de mélomanes et nous laisse tous le coeur lourd. Paix à lui, paix à mon magnifique ami.»

"Une ville la nuit"

Samedi 8 février 1997, la nuit tombe sur Los Angeles, 19° Celsius au thermomètre, 19 h 46 : "Hi, man ! J'habitais là. Regarde, j'habitais là, man, en 1956, avec Scottie." "Scottie", Scott LaFaro (1936-1961), et "Charlie" Haden (1937), les deux plus grands contrebassistes de l'ère nouvelle se sont connus à Los Angeles.

Charlie Haden conduit comme il joue. Tout en douceur, sans jamais rien forcer. Aux commandes de sa Volvo Wagon bronze métal, il décline son amour de la ville : "A l'école, je ne dessinais que des villes. On vivait à la campagne, à Springfield, Missouri, sous des ciels qui n'en finissaient pas. Et moi, je ne dessinais que des villes. " Son prof sanglotait : "Dessine-moi une vache, Charlie, merde, un arbre, juste une fois. Alors, j'ai fait une ville la nuit, avec toutes les lumières."


Article paru dans l'édition du Monde du 01.04.10

 

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